La promesse de Philippe Couillard de réviser en profondeur la Loi sur l'accès à l'information se retrouve sur une voie de garage. À un mois de l'échéance, le projet préparé depuis des mois dans les officines a soulevé de nombreuses réticences dans l'appareil gouvernemental.

Selon les informations obtenues par La Presse, l'ébauche de projet de loi diffusée il y a quelques semaines parmi l'ensemble des ministères par la responsable du dossier, Kathleen Weil, a soulevé plus de 25 objections chez pas moins de 32 ministères et organismes.

La Presse a obtenu un document qui recense ces oppositions, une véritable «croisade des ministères» contre les intentions du gouvernement, confiera un spécialiste de ces questions.

Des modifications ont déjà été apportées au projet original, mais plusieurs questions névralgiques restent pendantes. Surtout, la volonté de conférer à la Loi sur l'accès à l'information le statut de «primauté de l'intérêt public» soulève des objections. Sur d'autres questions, par exemple, le ministère des Finances a soumis un commentaire de 68 pages afin d'augmenter les restrictions suggérées par le Ministère.

Le projet de Kathleen Weil doit être étudié par un comité ministériel, cette semaine, avant d'être amené pour décision au Conseil des ministres la semaine suivante. Dans la machine, on estime déjà que le projet a du plomb dans l'aile. Les ministres n'aiment pas traiter de ces questions d'accès, et personne ne poussera pour que le gouvernement force le jeu et impose l'adoption à l'Assemblée nationale.

Depuis 2014

La révision de la Loi sur l'accès à l'information était pourtant un engagement formel du premier ministre Couillard dès le lendemain de son élection en avril 2014. Dans sa première conférence de presse comme premier ministre, il promettait de diriger «le gouvernement le plus transparent que les Québécois auront eu, avec une divulgation proactive de renseignements de toutes sortes». Les pays qui ont fait le choix de la transparence ont rétabli le lien de confiance entre la population et les institutions publiques, faisait-il valoir.

Responsable du dossier en 2015, Jean-Marc Fournier avait déposé un document de réflexion de plus de 200 pages, proposant les orientations qui se retrouvent dans le texte en ballottage actuellement dans l'administration publique.

À l'interne, on explique que les ministres et les organisations n'ont jamais montré beaucoup d'enthousiasme à l'égard du dossier.

Le projet de loi aurait pu être déposé l'automne dernier, mais il a été mis de côté parce qu'on avait voulu prioriser le projet de loi 62 sur les questions identitaires. Quatre ans après l'engagement de M. Couillard, le temps manque. Le projet de loi doit être déposé à l'Assemblée nationale avant le 15 mai pour avoir une chance d'être adopté avant l'ajournement du 15 juin.

Primauté

Une orientation proposée qui ne se trouvait pas dans le document vise à établir que le droit à l'accès doit primer les autres questions. Dans un document obtenu par La Presse, on constate que les ministères de la Justice et de l'Environnement y sont opposés; la Justice estime qu'il ne devrait pas relever de la Commission d'accès de trancher cette question. Aussi, la Justice s'inquiète de l'accessibilité future aux documents du Conseil exécutif. Pourtant, pas moins de six législatures au Canada prévoient que l'on doit tenir compte de l'intérêt public en dépit d'une restriction. Cette disposition a remporté un appui soutenu de plusieurs organismes, dont le Barreau du Québec, dans les commissions parlementaires tenues en 2015 et 2017. Pour la Commission d'accès, ce principe est «un incontournable de la modernisation de la loi».

Le projet reprend aussi des propositions qui ont fait consensus en commission parlementaire. On ferait passer de 10 à 5 ans - comme en Nouvelle-Écosse - le délai maximal pour accéder à certains documents. Le Conseil du trésor craint l'effet d'une telle mesure dans un contexte de négociations ou en matière de relations de travail - les litiges et le cycle des négos peuvent dépasser cinq ans. Le Conseil des ministres avait pourtant approuvé l'intégration de cette orientation dans le document de 2015.

Le projet veut aussi modifier la Loi sur l'accès à l'information pour favoriser l'accessibilité aux documents détenus par un ministre, un cabinet ministériel ou un membre d'un organisme municipal ou scolaire. Une variété de mesures sont appliquées sur cette question dans les autres provinces. Cette idée était dans les orientations approuvées par le gouvernement Couillard en 2015, et la Commission d'accès à l'information préconise que l'on précise ces dispositions et leur limite dans le temps. Des questions ont été soulevées sur l'accessibilité de la correspondance d'un ministre; le document relève que nulle part au pays la correspondance ne fait l'objet d'une protection spécifique.