Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, est «scandalisé» par les primes à la ponctualité versées aux médecins spécialistes qu'il a lui-même négociées, mais s'en lave les mains.

Il a ainsi réagi, vendredi, aux informations voulant que les membres du corps médical peuvent recevoir un boni de plus de 100 $ pour que les blocs opératoires ouvrent bel et bien à 8 h du matin.

De 2014 à 2017, plus de 86 millions  de dollars ont ainsi été réservés pour encourager la productivité des médecins spécialistes.

En point de presse vendredi matin à l'Assemblée nationale, M. Barrette a exprimé son indignation, tout en disant qu'il avait lui-même constaté le problème d'assiduité quand il était autrefois président de la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ) et avoir lui-même négocié pour réserver une partie de l'enveloppe pour cet enjeu.

«Ça me scandalisait quand j'étais de l'autre bord (à la FMSQ) et ça me scandalise encore», a-t-il déclaré, en admettant du même souffle qu'il n'est pourtant pas nécessaire de verser des primes à la ponctualité aux infirmières, mais que ses anciens collègues sont motivés par l'appât du gain.

«Il y en a beaucoup (qui ne marchent qu'à l'argent)», a-t-il lâché.

En Chambre, il s'en est toutefois lavé les mains en rappelant que c'est aux médecins à gérer l'enveloppe globale versée par le gouvernement et assortie de conditions.

«L'utilisation (des enveloppes) est débattue entre les fédérations et le gouvernement. L'enveloppe va être dépensée de toute façon. (...) Quand j'étais (à la FMSQ), je constatais qu'il y a des problèmes et j'ai mis une obligation pour avoir une partie de l'enveloppe d'être présente. Est-ce que c'est normal qu'on soit obligés de faire ça? La réponse, c'est non.»

Le ministre a soutenu que son projet de loi 130, maintenant adopté, impose des obligations professionnelles qui permettront de venir à bout des problèmes d'organisation clinique.

La Coalition avenir Québec (CAQ) a dénoncé le versement de la prime et a exigé qu'on y mette fin sur-le-champ.

«Ce matin, il y a des centaines de milliers de travailleurs qui sont arrivés à l'heure ou avant l'heure et qui ne recevront pas une prime pour leur ponctualité, a lancé le député caquiste François Paradis en Chambre. Parce que ce n'est que normal d'arriver à l'heure. (...) Par respect pour les contribuables, est-ce que le ministre de la Santé va mettre fin à cette prime ponctualité aujourd'hui?»

Réaction des médecins

Une des associations de médecins spécialistes est par ailleurs outrée de se faire reprocher d'obtenir pour ses membres une prime en vue d'augmenter leur productivité, tel que lui avait pourtant demandé le gouvernement de l'époque en 2007-2008.

Le président de l'Association des anesthésiologistes, Jean-François Courval, soutient que la prime ne représente qu'environ 6 % de la rémunération totale du médecin, environ 20 000 $ - ce qui est peu sur des honoraires qui peuvent dépasser en moyenne les 400 000 $, a-t-il évoqué.

Il a fait valoir que les incitatifs avant 8 h et après 15 h ont permis d'opérer 500 000 patients supplémentaires sur 10 ans. «Pis là on est en train de me critiquer dans les médias pour avoir fait ça, c'est le monde à l'envers», a-t-il lancé en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

La FMSQ n'a pas donné suite à notre demande d'entrevue.

Couillard défend Barrette

Par ailleurs, le premier ministre Philippe Couillard a défendu son ministre de la Santé, qui est également au centre de la controverse depuis jeudi et attaqué de toutes parts.

On lui reproche des propos très durs, des menaces, dans ce qui semblait être une guerre à finir avec ses collègues, en 2009, du temps où il travaillait comme radiologiste à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont de Montréal.

De même, cinq organisations, dont les fédérations de médecins et l'Association des gestionnaires des établissements de santé, ont fait une sortie commune jeudi, pour demander à M. Barrette de renoncer à l'abus de pouvoir, à l'intimidation, au dénigrement.

En conférence de presse pour faire son bilan de session vendredi, M. Couillard n'a pas condamné les agissements de son ministre, un homme «décisif», a-t-il dit.

Il a ajouté qu'il ne voit dans la déclaration commune des organisations qu'une «histoire de pouvoirs», alors que M. Barrette travaille «au bénéfice des patients».

À la période de questions, il a concédé que son homme à la Santé avait du caractère et que ses résultats en indisposaient certains.

«Je ne nie pas que notre collègue a une personnalité forte», a-t-il affirmé.

Le chef de l'opposition officielle, Jean-François Lisée, a pour sa part fait écho à la déclaration commune des cinq organisations en condamnant «la politique de la peur» du ministre de la Santé, qui «provoque de la détresse» dans le réseau.

«Le premier ministre est un ancien ministre de la Santé, il est dans le réseau, il n'a rien appris ce matin, a dit M. Lisée. Pourquoi est-ce que sa politique envers le récidiviste de l'intimidation qu'est le ministre de la Santé, c'est la tolérance 100 %? Que fait-il pour que ça arrête?»