Les causes de l'immense cafouillage sur l'autoroute 13, durant la tempête du 14 mars dernier, sont nombreuses. Au ministère des Transports comme à la Sûreté du Québec, les responsables sur le terrain, au premier niveau, ont sous-estimé la gravité de la situation et négligé d'alerter leurs supérieurs.

Dans un rapport d'une soixantaine de pages énonçant 28 recommandations, qui sera rendu public aujourd'hui, l'ancien sous-ministre des Transports et ex-patron de la SQ, Florent Gagné, relève une cascade de failles qui ont conduit au dérapage qui allait faire les manchettes à la mi-mars. Le niveau politique, les cadres du Ministère à Québec et la haute direction de la SQ ne sont pas blâmés, n'ayant jamais été informés de l'urgence de la situation sur la 13.

Le rapport montre surtout du doigt le Centre intégré de gestion de la circulation à Montréal, qui le premier aurait pu apprécier l'urgence de venir en aide à 300 automobilistes en détresse au coeur de Montréal. Ce centre consiste en une grande salle de contrôle où les autoroutes sont monitorées sur une multitude d'écrans - il en existe une autre à Québec.

Aux Transports comme à la SQ, les communications «tant horizontales que verticales» ont fait défaut. 

Les deux organisations ont vécu des problèmes très importants. Jamais la longue liste de procédures prévues en cas d'urgence ni même l'équipement dont disposent les deux organisations n'ont été mis en oeuvre. «Imaginez une automobile qui n'a pas fonctionné parce qu'on a oublié d'activer le démarreur», résume-t-on. Transports Québec et la SQ auraient pu mettre en branle des mesures d'urgence nécessaires, mais ni l'un ni l'autre ne l'ont fait. Dans les deux cas, les canaux de communication n'ont pas fonctionné et n'ont pas permis d'enclencher le processus. Ce n'est pas une question de manque de ressources ni de politiques - la faille réside dans un système d'alerte qui ne s'est jamais activé.

Le centre intégré de gestion fonctionnait avec un personnel régulier, comme en temps normal, sans rapport avec l'ampleur de la tempête, relève-t-on. Les équipements informatiques sont désuets, mais surtout, on ne trouvait aucun gestionnaire sur les lieux. Le standard téléphonique était saturé par des appels de demande d'aide, mais personne n'a songé à relayer «en haut» l'urgence de la situation. Ce centre intégré de gestion a «lamentablement failli à la tâche», a résumé à La Presse une source qui avait pris connaissance du rapport.

Le CIGC a géré la situation comme si on se trouvait devant un embouteillage monstre, oubliant la détresse des automobilistes en pleine tempête hivernale.

En outre, la gravité de la tempête a été sous-évaluée à partir des informations fournies par la météo, observe M. Gagné, selon nos informations.

Le rapport Gagné ne recommande pas des effectifs supplémentaires pour permettre au ministère des Transports d'effectuer davantage l'entretien à l'interne. Mais le Ministère vient de déposer auprès du Conseil du trésor une demande visant à grossir ses effectifs de 200 employés supplémentaires, a-t-on appris par ailleurs.

La chaîne de commandement rompue

La Sûreté du Québec aussi a été en deçà des attentes. Une agente subalterne avait constaté la gravité de la situation, mais la directive transmise à ses supérieurs immédiats n'a pas eu de réponse. Tant aux Transports qu'à la SQ, les gestionnaires intermédiaires n'ont pas été informés de la situation, même si on a constaté que la SQ avait fait plusieurs dizaines d'appels au ministère des Transports à Montréal pour solliciter du déneigement. À l'interne à la SQ, la chaîne de commandement a été rompue au niveau du directeur des opérations, explique-t-on du côté de la police.

À la Sûreté du Québec, l'agent qui était pris dans l'embouteillage sur la 13 était pris au téléphone, mais coincé derrière un camion, il ne pouvait voir devant lui les autos s'alignant sur plus d'un kilomètre et demi. Il s'est entretenu avec son lieutenant, mais tout le monde croyait que la situation allait revenir à la normale d'une minute à l'autre. La SQ doit répondre aujourd'hui au rapport, mais déjà un lieutenant, le chef des opérations du Montréal métro, et un capitaine, le patron des policiers responsables des mesures d'urgence, Michel Lapointe, ont été relevés administrativement de leurs fonctions. Toutefois, l'enquête interne de la SQ ne démontre pas que ce dernier s'est rendu chez un notaire le soir de la tempête, comme La Presse l'écrivait dans les jours suivant.

L'enquêteur Gagné observe aussi qu'il n'y a jamais eu de négociation avec les camionneurs récalcitrants qui avaient refusé dans un premier temps de se faire remorquer. Dès le premier contact avec la SQ, les camions ont été remorqués.

La Sécurité civile sort indemne de cette affaire, elle n'a tout simplement pas été informée de l'urgence de la situation. Les autorités du ministère des Transports n'ont pas de blâme, à Québec, Anne Marie Leclerc, la sous-ministre adjointe qui était responsable des situations d'urgence, n'a jamais été prévenue de la situation à Montréal. Mais l'enquêteur Gagné ne suggère pas qu'on lui restitue cette responsabilité.

Chronologie des événements

14 mars: Environ 300 véhicules restent pris au piège presque toute la nuit sur l'autoroute 13, bloquée par deux poids lourds embourbés dans la neige à Montréal.

15 mars: À 4 h 30, les pompiers portent finalement secours aux automobilistes coincés depuis des heures sur l'autoroute.

16 mars: Philippe Couillard confie l'enquête externe à Florent Gagné, ex-sous-ministre, et s'excuse pour ce « cafouillage majeur » des autorités. Un officier de la Sûreté du Québec et une sous-ministre adjointe au ministère des Transports sont suspendus.

17 mars: Philippe Couillard défend l'enquêteur Florent Gagné, dont la nomination est critiquée par l'opposition. « J'ai entièrement confiance en lui », assure-t-il.

18 mars: Un camionneur qui aurait refusé d'être remorqué pendant la tempête est arrêté.

19 mai: Florent Gagné dépose son rapport d'enquête sur le cafouillage de l'autoroute 13

- Louis-Samuel Perron, La Presse