Le Québec pourrait recourir à la clause dérogatoire pour empêcher des procès pour meurtre d'avorter, a convenu le premier ministre Philippe Couillard mardi. Mais un tel recours reste « prématuré », selon lui, et il porterait atteinte aux droits de tous les Québécois.

« La clause existe, donc elle est là pour qu'on s'en serve, mais, selon moi, dans des circonstances exceptionnelles et pour des raisons exceptionnelles », a affirmé M. Couillard lors d'un point de presse.

Ce commentaire est nettement moins tranchant que celui qu'avait tenu le premier ministre samedi. Il avait alors décrit ce recours comme « l'équivalent de l'arme nucléaire en matière constitutionnelle ».



Le Parti québécois presse depuis des semaines le gouvernement Couillard de légiférer pour soustraire le Québec à l'arrêt Jordan. Cette décision, rendue en juillet par la Cour suprême, a fixé des balises quant à la durée raisonnable des procès criminels.

Le chef Jean-François Lisée a rehaussé la pression, mardi, quelques jours après qu'un homme accusé du meurtre de sa conjointe eut échappé à son procès pour cause de délais. Critiquant la « mauvaise administration de la justice » par Québec et « l'inaction » d'Ottawa, qui tarde à nommer des juges à la Cour supérieure, M. Lisée a réclamé en vain un débat d'urgence sur la question à l'Assemblée nationale.

« Il faut maintenir cette pression, mais il faut penser aux victimes, a dit M. Lisée. Il faut penser à la confiance fragilisée des Québécois envers le système de justice, et donc aujourd'hui on revient à la charge. »

Mais M. Couillard n'a pas l'intention de se rendre à la position de l'opposition « pour l'instant », a-t-il précisé.

Il a invoqué trois arguments pour appuyer sa position. D'abord, dans le cas du procès avorté de Sivaloganathan Thanabalasingam, le délai d'appel du DPCP n'est toujours pas échu. Ensuite, plusieurs requêtes présentées par des accusés pour justifier l'arrêt des procédures ont été rejetées. Et surtout, dit-il, le recours à la clause dérogatoire porterait atteinte aux droits constitutionnels de tous les Québécois.

« Il s'agit d'un outil qui diminue les droits de tous les Québécois alors qu'on a devant nous et à notre portée les outils pour y faire face », a indiqué M. Couillard.

Il a appelé le gouvernement fédéral à faire preuve de « travail d'équipe » et de nommer plusieurs juges à la Cour supérieure afin de réduire les délais dans les cours de justice.

Vallée doute

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a dit douter que Québec puisse légiférer seul pour soustraire les tribunaux aux dispositions de l'arrêt Jordan. Elle rappelle que les cours criminels sont sous la responsabilité du gouvernement fédéral.

« À première vue, ça comporte des enjeux, des défis, parce que normalement, la clause dérogatoire est utilisée dans un champ de compétence qui nous est propre, qui est le nôtre, a dit Mme Vallée. Alors le premier réflexe serait plutôt, si on souhaite utiliser la clause dérogatoire en matière criminelle, il faudrait se tourner vers Ottawa. »

Elle n'entend pas demander au gouvernement fédéral de légiférer en ce sens « pour le moment ». Selon elle, la priorité pour Ottawa est plutôt de nommer plus de juges à la Cour supérieure.

« Avant de faire ça, on doit s'assurer d'avoir mis en place tous les moyens utiles pour répondre aux impératifs de l'arrêt Jordan, a dit Mme Vallée. Actuellement, on a des besoins à combler au niveau de la magistrature. »

Elle estime que Québec a fait sa part, en décembre, en annonçant des investissements de 175 millions sur quatre ans pour embaucher des juges, des procureurs et des employés de soutien .

Le député de la Coalition avenir Québec, Simon Jolin-Barrette, estime pour sa part que le gouvernement Couillard peut invoquer la clause dérogatoire pour soustraire les tribunaux aux prescriptions de l'arrêt Jordan. Mais que le fédéral devrait en faire autant, a-t-il dit.

« Si le fédéral invoque aussi la clause dérogatoire, ça va permettre d'être blindé juridiquement », a dit M. Jolin-Barrette.

Il propose aussi des actions pour accélérer les procès.