L'abandon d'accusations contre des criminels présumés est devenu si « catastrophique » que le gouvernement Couillard doit recourir aux grands moyens pour « stopper l'hémorragie », estime le Parti québécois. En plus d'ajouter des ressources dans le système judiciaire, il doit selon lui étudier le recours à la clause dérogatoire pour se soustraire à un récent jugement de la Cour suprême à l'origine de la crise. Une mesure exceptionnelle.

En juillet dernier, dans une décision partagée, le plus haut tribunal du pays a fixé une durée maximale pour les procès criminels afin de lutter contre les délais déraisonnables (18 mois devant la Cour du Québec ; 30 mois devant la Cour supérieure).

Depuis, des criminels présumés ont obtenu un arrêt des procédures en raison de délais dépassant cette limite. Ce fut le cas pour l'influent membre des Hells Angels, Salvatore Cazetta, dans une affaire de gangstérisme et de fraude. La semaine dernière, le procès pour fraude de Luigi Corretti est tombé. Et vendredi, un coaccusé de Gilles Vaillancourt dans un mégaprocès pour fraude, complot et corruption, Serge Duplessis, a demandé un arrêt des procédures. Dans cette cause, les accusations ont été portées en 2013, et le début du procès n'est prévu qu'à l'automne 2017.

Selon la députée péquiste Véronique Hivon, plus de 150 demandes pour arrêt de procédures ont été déposées depuis juillet. Et une trentaine de jugements ont cité l'arrêt Jordan jusqu'ici. Elle demande d'ailleurs au gouvernement de faire un état de situation au nom de la « transparence ». 

« Quand j'entends le Directeur des poursuites criminelles et pénales dire qu'en ce moment on est en train d'analyser et de faire le tri entre les causes qui peuvent procéder ou non, vous vous imaginez ce que ça veut dire. (...) S'il y a des centaines de causes qui avortent, bien, on va espérer que ce ne sera pas des milliers de causes qui vont avorter. Mais, pour avoir parlé à beaucoup de gens dans les derniers jours, je dois vous dire que, quand on commence à regarder ça, ça pourrait être des centaines et des centaines et des centaines de causes », a déploré la porte-parole du PQ en matière de justice en conférence de presse lundi. L'arrêt Jordan « met une pression complètement folle sur le système ».

Elle accuse d'immobilisme la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. Cette dernière a annoncé un plan d'action en octobre, mais rien n'a vraiment changé dans les palais de justice, selon elle.

« On lui demande une action vigoureuse, concrète et rapide », a affirmé Mme Hivon. Des juges suppléants doivent être appelés en renfort. Des procureurs et des greffiers doivent être ajoutés. « Quand en plus il y a des surplus (budgétaires au gouvernement), ce n'est pas vrai qu'on n'est pas capable d'injecter un peu d'argent dans le système de justice », a-t-elle dit.

Mais Québec pourrait devoir faire plus, selon Véronique Hivon. Elle demande à la ministre Vallée d'étudier le recours à la clause dérogatoire, prévue à la Charte canadienne des droits. Une telle mesure aurait pour effet de se soustraire à l'application de l'arrêt Jordan pour une durée de cinq ans (une telle clause peut être renouvelée ou non au terme de ce délai). 

« On estime qu'absolument aucune voie ne peut être mise de côté, aucun chemin ne peut être exclu tellement la situation en ce moment est grave », a plaidé Mme Hivon. Si l'ajout de ressources s'avérait insuffisant, « il faut envisager toutes ces options-là ».