Les normes de surveillance dans les résidences pour personnes âgées sont en train d'être revues à la baisse, malgré les recommandations du rapport Delâge sur l'incendie meurtrier de L'Isle-Verte.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, prévoit d'abandonner le resserrement des règles dont il avait fait l'annonce l'an dernier. Certaines normes seraient même assouplies.

Selon des documents ministériels obtenus par La Presse, Québec veut permettre à des bénévoles ou à des résidants d'être chargés de la surveillance, le jour comme la nuit, dans les établissements pour aînés autonomes, peu importe leur taille. La nouvelle norme serait moins sévère que celle prévue au règlement existant lors du drame de la Résidence du Havre, qui a coûté la vie à 32 personnes en janvier 2014.

Dans le cas des résidences pour aînés en perte d'autonomie, Gaétan Barrette prévoit de laisser tomber la hausse du seuil minimal de surveillance qu'il avait lui-même annoncée en octobre 2015. Il reviendrait à la norme, moins contraignante, qui prévalait avant le dépôt du rapport sur la tragédie de L'Isle-Verte.

Fait rare, le ministre a décliné une demande d'entrevue hier. Son cabinet ne dément pas les informations contenues dans les documents très détaillés du ministère de la Santé. Il se contente de dire que M. Barrette «n'a pas encore signé» le nouveau règlement, que «la décision finale» n'a pas été prise au Conseil des ministres.

Un seuil «pas très logique»

Le commissaire aux incendies du Québec, Cyrille Delâge, avait mené l'enquête sur le drame de L'Isle-Verte. Ce fut sa dernière : il est mort en mars dernier.

Dans son rapport rendu public en février 2015, il recommandait d'établir «des normes pour ce qui est du personnel de jour et de nuit qui sont conformes à la réalité». Le seuil minimum d'un préposé pour 100 résidants, qui avait été adopté en 2013, ne lui apparaissait «pas très logique», plaidait le coroner.

«Il faut une combinaison de mesures protectrices pour avoir une chance de réussite : non seulement des gicleurs», mais aussi, par exemple, «un personnel qualifié en nombre suffisant», insistait-il.

Une annonce remise en question

Huit mois plus tard, en octobre 2015, Gaétan Barrette dévoilait en conférence de presse des mesures pour « adapter la réglementation aux recommandations qui ont été mises de l'avant par M. Delâge ».

Ce dernier devait entrer en vigueur après le délai habituel de 45 jours, délai au cours duquel une consultation est menée.

Or, le projet de règlement n'a jamais été adopté. Gaétan Barrette a décidé de le revoir. Son ministère a présenté récemment à différents groupes une nouvelle mouture du projet. La Presse a pris connaissance des documents de la Santé.

Deux changements majeurs

Pour bien comprendre les changements, il faut savoir que le gouvernement Couillard a décidé de classer les résidences en quatre catégories, selon les services offerts et, en principe, le degré d'autonomie des personnes hébergées. Plus les aînés ont besoin de soins, plus les normes de sécurité sont élevées. Et ces dernières sont adaptées en fonction de la taille de l'établissement.

Le projet de règlement de 2015 prévoyait ainsi une hausse des normes pour bon nombre de résidences. Il y avait assouplissement pour d'autres, comme les résidences pour aînés autonomes qui ont 49 unités d'habitation et moins.

Dans ce cas précis seulement, le ministre voulait permettre qu'un bénévole, un locataire surveillant ou un résidant soit chargé de la surveillance de jour comme de nuit. Notons que le bénévole doit avoir une formation en secourisme et être disponible en tout temps, mais il n'est pas tenu d'être présent dans la résidence.

Le ministre Barrette justifiait la mesure en disant que le fait de recourir à un membre du personnel pour la surveillance a un coût qui n'est «pas absorbable ni par le propriétaire ni par la clientèle». Ces résidences pour aînés autonomes sont des organismes à but non lucratif dans certains cas, ajoutait-il.

Or, avec la nouvelle mouture de son projet de règlement, le ministre Barrette prévoit d'élargir le recours possible à un bénévole ou à un résidant à tous les établissements pour aînés autonomes, peu importe leur taille (ce qu'on appelle la catégorie 1). À l'origine, il voulait qu'au moins un membre du personnel détenant une formation de secourisme soit obligatoirement la personne chargée de la surveillance. La norme actuellement en vigueur est plus sévère encore : Québec oblige la présence d'un préposé aux bénéficiaires en tout temps. La formation d'un préposé est plus exigeante.

Dans le cas des établissements dont la perte d'autonomie des résidants est la plus importante (la catégorie 4), Québec ferait une croix sur la hausse des normes. Ce serait le statu quo, en dépit des recommandations de Cyrille Delâge. C'est la catégorie où il y a le plus de résidences.

Dans son rapport, le commissaire vétéran insistait pour que ses recommandations ne soient pas reléguées aux oubliettes. «Personne ne pourra blâmer le soussigné de ne pas avoir tenté de mettre fin à une situation qui, j'en suis sûr, se répète à bien des endroits au Québec : on ne prend souvent la sécurité incendie au sérieux qu'au lendemain de grands désastres et on sait que la mémoire est une faculté qui oublie», disait M. Delâge.

Il recommandait d'ailleurs depuis 1997 que des gicleurs soient installés dans les résidences pour aînés. Ce n'est que 20 ans plus tard, à la suite du drame de L'Isle-Verte, que Québec a décidé d'obliger les résidences - sauf les plus petites - à en être munies, d'ici décembre 2020. Il leur offre une aide financière pour y arriver.

- Avec la collaboration d'Ariane Krol

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RÉACTION LACONIQUE AU GOUVERNEMENT

«Le ministre n'a pas encore mis sa signature sur le document qui devra être acheminé au Conseil des ministres pour l'éventuel règlement. Ça veut dire que ce n'est pas final encore. Ça va être final quand ça va passer au Conseil des ministres.» - L'attachée de presse du ministre Barrette, Julie White

CHANGEMENTS DEMANDÉS PAR DES RÉSIDENCES

Le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins, était aux côtés du ministre Barrette lors de l'annonce de la hausse des normes de surveillance en octobre 2015. Il s'en disait satisfait. Mais il a demandé des changements par la suite. «Il y a 249 résidences qui ont fermé leurs portes dans les 30 derniers mois, principalement en région. C'est à cause de la pression financière et des exigences» gouvernementales, a-t-il plaidé. Élargir le recours aux bénévoles assurerait «la survie d'un paquet de résidences où des gens sont à revenus modiques», selon lui. 

«Quand le gouvernement a exigé qu'il y ait des gicleurs, on était d'accord. Maintenant, ça fait pas mal ceinture-bretelles si on met des surveillants et des gicleurs et un rehaussement du système d'alarme. Ça fait beaucoup d'ajouts», a-t-il soutenu. Il suggère que le seuil minimal de surveillance varie en fonction des matériaux utilisés dans la construction du bâtiment. Le seuil serait plus élevé pour un bâtiment en bois que pour un autre en béton, par exemple.