Le gouvernement sait très bien, et ce, depuis longtemps, que les centres jeunesse sont des lieux privilégiés pour le recrutement de jeunes prostituées. Déjà en 2012, le modus operandi des gangs de rue était clairement exposé dans un avis du Conseil du statut de la femme (CSF).

« Il est clair que les centres jeunesse sont au coeur de tout cela », soutient Julie Miville-Dechêne, la présidente du CSF. Déjà, le mémoire détaillait la stratégie des proxénètes qui repèrent « les jeunes filles les plus vulnérables, entre 13 et 16 ans, qui sont en fugue ou dans un centre jeunesse ».

« Cela fait quand même quatre ans que cette problématique est connue. Depuis mai 2012, il y a eu trois gouvernements », observe-t-elle. Même quand elle est arrivée en poste, le gouvernement Charest avait déjà un « plan d'action gouvernementale » censé démarrer en 2011 pour contrer l'exploitation sexuelle. Ce plan n'a jamais vu le jour.

« Depuis quatre ans, il y a eu des discussions, des comités et tout [...], mais pas d'action structurante pour contrer la prostitution juvénile. Selon les statistiques canadiennes, on entre dans la prostitution à 14 ou 15 ans », a ajouté Mme Miville-Dechêne. Elle se refuse à qualifier l'inaction de Québec. 

« Je ne commenterai pas dans le rôle que j'ai. Quand on produit des avis, c'est qu'on souhaite des actions. »

Toute la journée, hier, le gouvernement Couillard a voulu justifier le fait qu'aucune offensive concrète n'avait été lancée contre la prostitution juvénile. La Presse publiait hier la synthèse des consultations menées par un comité de neuf ministères auprès de 200 groupes et individus. Parmi les constats, on retenait que « les centres jeunesse sont des lieux privilégiés pour le recrutement de mineures ».

En début de journée, la ministre responsable de la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois, lançait : « Tout le monde sait que la prostitution existe depuis toujours, qu'il y a des gangs de rue depuis toujours, que le crime organisé existe depuis toujours. Est-ce que je vais parler du passé toute la journée et toute la semaine ? » 

En fin de journée, la ministre de la Justice et responsable du dossier de la condition féminine jusqu'à la semaine dernière, Stéphanie Vallée, a expliqué que le comité interministériel était toujours au travail, et non pas dissous, comme l'avait soutenu le député péquiste Jean-François Lisée. 

Le ton monte à l'Assemblée nationale

Le comité a fait face à une série de crises, notamment la campagne sur les viols non déclarés et le réalignement fédéral sur la décriminalisation de la prostitution, qui l'ont forcé à reporter ses échéances, a expliqué Mme Vallée. À ses côtés, Lise Thériault, nouvelle responsable de la Condition féminine, a accusé la députée péquiste Carole Poirier d'avoir fait dérailler les travaux. Mme Poirier avait souligné qu'un seul rapport englobant tout le phénomène de la prostitution serait préférable à des avis de moindre portée. Elle tenait à ce qu'on inclue la dimension des femmes autochtones à la réflexion, a expliqué Mme Thériault. 

« C'est le gouvernement qui a décidé de refuser la demande du SPVM qui demandait des fonds en 2014, pour une escouade sur l'exploitation sexuelle des mineures, a répliqué Jean-François Lisée. Ils ont coupé dans les centres jeunesse, ils ont décidé de faire le contraire des recommandations qui demandaient plus de moyens pour les groupes de femmes, ils ont coupé leur financement de 20 %. Ce n'est pas la députée d'Hochelaga qui a fait ça, c'est le gouvernement libéral. »

Le ton a aussi monté à l'Assemblée nationale. « Le gouvernement libéral a décidé d'abandonner nos filles », a lancé la députée péquiste d'Hochelaga, Carole Poirier. « Chaque jour, des dizaines de jeunes filles se font passer sur le corps par des hommes inqualifiables, dans des motels miteux. Qui a décidé de ne rien faire ? », a-t-elle martelé.

Plus de répression

Le gouvernement Couillard déposera bientôt un plan d'ensemble pour « accroître la répression policière » des gangs de rue qui exploitent les mineures en fugue, a indiqué hier le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux. Ce « plan de lutte intégré contre l'exploitation sexuelle aura une dimension policière importante », a promis M. Coiteux.

Un site négligé

Le dossier de l'exploitation sexuelle n'a pas été négligé, soutient le gouvernement Couillard. Reste que le site internet qui résume les gestes posés à ce chapitre est manifestement laissé pour compte. Hier, le site du Secrétariat à la condition féminine, qui relevait de la Justice jusqu'à la semaine dernière, indiquait que « le gouvernement s'est engagé à produire, d'ici la fin 2014, un plan d'action pour prévenir et contrer l'exploitation sexuelle ainsi que pour venir en aide aux femmes qui veulent quitter le milieu de la prostitution ». Ce plan d'action n'est toujours pas déposé un an plus tard.