Québec serre la vis au sénateur Paul Massicotte et à son projet immobilier sur les flancs du mont Saint-Bruno, en invoquant pour une rare fois un article de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel.

Cette mesure - un «avis préalable» - est prise pour protéger le ginseng à cinq folioles, une espèce de plante menacée de disparition.

Le projet controversé d'une trentaine de maisons dans le boisé des Hirondelles, une forêt adjacente au parc national du Mont-Saint-Bruno, cause un débat houleux depuis de nombreuses années.

Le geste de Québec pourrait être un coup de semonce pour le secteur immobilier dans toute la région.

Selon Jean-Pierre Laniel, chef de l'expertise en biodiversité au ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, c'est seulement la quatrième ou cinquième fois que cet article de loi est invoqué.

«C'est utilisé quand il y a des éléments exceptionnels sur un site visé par un projet, dit-il. Il faut qu'il y ait une certaine urgence d'agir.»

Il ajoute que les «inquiétudes des citoyens sont venues signaler au Ministère qu'il y avait matière à porter une attention particulière au projet». Le document daté du 2 septembre mentionne d'ailleurs des plaintes de citoyens remontant à 2006.

Un milieu naturel à risque

L'avis préalable rendu en vertu de l'article 19 de la loi, signé par le ministre David Heurtel, avise le promoteur que plusieurs éléments de son projet sont de nature à «éliminer en partie le milieu naturel du ginseng à cinq folioles».

Cette plante est sensible aux variations de luminosité et de drainage du sol. On explique en détail, sur une dizaine de pages, comment ces deux éléments seraient bouleversés.

Notamment, le couvert forestier diminuerait de plus de 40% et le sol serait décapé et dynamité, des interventions qui contribueraient à «dégrader sévèrement ce milieu naturel».

On invoque même que le projet tel que proposé pourrait être néfaste pour les plants de ginseng qui poussent à l'intérieur du parc national.

La porte reste ouverte

Malgré tout, la porte n'est pas fermée au projet, dit-on. «L'article 19 ne vise pas à bloquer des projets ou faire des cloches de verre, dit M. Laniel. Est-ce que ce projet peut être réalisé de façon à ce que les impacts sur le ginseng soient réduits à un niveau acceptable pour le Ministère? Le promoteur a jusqu'au 1er novembre pour nous répondre.»

C'est l'urbaniste Bruno Bergeron qui répond aux médias au nom du sénateur Massicotte dans ce dossier. Il assure être sur «la même longueur d'onde» que le Ministère.

«On attend encore les derniers relevés des biologistes et on espère rencontrer le Ministère pour poursuivre l'analyse, dit-il. Il y a des mesures possibles pour que ce terrain soit développé de manière exemplaire.»

Cependant, le maire de Saint-Bruno-de-Montarville, Martin Murray, voit mal comment le projet pourrait prendre forme après cet avis, même «préalable».

Et ce serait une bonne nouvelle, selon lui: «On espère que ce terrain ne sera pas développé. C'est une forêt extrêmement riche qu'on ne veut pas sacrifier à un développement résidentiel.»

«On voit mal comment ils pourraient revenir en arrière, ajoute-t-il. Le ministre s'est peinturé dans le coin, avec tous ces paramètres. On ne réussira pas à faire ce développement sans affecter le ginseng.»

De toute manière, affirme M. Murray, le projet, qui avait reçu un appui très actif de la part de l'administration précédente du maire Claude Benjamin, est aux antipodes de ce qu'il veut réaliser.

«Du point de vue de la densité, on n'est même pas à cinq habitations à l'hectare alors que les paramètres du Plan métropolitain d'aménagement et de développement, c'est 30 habitations à l'hectare», dit-il.

Contentement mitigé

Le geste de Québec est accueilli avec un optimisme prudent par les militants écologistes.

«Le côté positif de cet avis, c'est qu'il reprend toutes les représentations qu'on avait faites dans le passé, indique Michel Bélanger, président du Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE). Ça consacre le fait que le projet n'aurait jamais dû exister. Mais en même temps, on ouvre une porte à une nouvelle demande de permis.»

«Ce serait bien la première fois qu'ils prendraient une décision qui a de l'allure, affirme Philippe Blais, président du Conseil régional de l'environnement de la Montérégie. C'est encourageant, à condition qu'on n'ait pas toujours des guerres juridiques et médiatiques pour arriver à ce résultat.»

Photo tirée de WikiPedia

Le ginseng à cinq folioles.