L'abolition des agences de santé régionales, annoncée par le gouvernement Couillard, entraînera la création de mégastructures qui vont inévitablement éloigner les services de la population, s'inquiètent les syndicats et intervenants du milieu.

Selon la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), il s'agit là d'une autre mesure d'austérité visant seulement à atteindre l'équilibre budgétaire.

«Ce qu'on nous propose, c'est non seulement une réforme qui est bureaucratique, mais qui vient d'en haut et qui va s'imposer à l'ensemble des intervenants du réseau», a déploré le président de la CSN, Jacques Létourneau.

Le projet de loi 10 déposé jeudi par le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, prévoit entre autres l'abolition des 18 agences régionales. L'administration du réseau sera confiée à un palier local élargi, le Conseil intégré de santé et de services sociaux (CISSS).

D'après le gouvernement Couillard, cette mesure permettra, à compter de 2017, d'économiser 220 millions $ par année de façon récurrente.

Aux côtés de M. Létourneau, le responsable du dossier de la santé et des services sociaux à la CSN, Jean Lacharité, a quant à lui exprimé des craintes quant à la possibilité que les missions sociales des centres de santé et de services sociaux soient (CSSS) «bouffées» par les besoins des hôpitaux en raison de la centralisation.

«On est en train de créer des structures mammouth dans lesquelles on regroupe des dizaines et des dizaines de structures sous une seule direction, a-t-il observé. Il s'agit d'établissements avec des missions extrêmement différentes qui sont regroupés autour d'un hôpital.»

La CSN - qui dit regrouper quelque 130 000 travailleurs en santé et en services sociaux - s'est également montrée inquiète vis-à-vis les pouvoirs du ministre de la Santé, qui semblent augmenter de façon considérable.

M. Lacharité dit avoir hâte d'entendre M. Barrette sur un aspect du projet de loi qui lui permet d'intervenir auprès des établissements pour favoriser la conclusion d'ententes de services.

«Ententes avec qui? Les cliniques privées? Est-ce qu'il est en train de nous ouvrir une porte encore plus grande vers la privatisation? Nous avons de sérieuses questions concernant cela», a souligné M. Lacharité.

Si cette réforme entraînera des économies en raison de la réduction du nombre de cadres, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a de son côté dit craindre l'arrivée d'«hyper-monstres» administratifs difficiles à diriger à long terme.

«Oui on va économiser à court terme, parce qu'on va mettre à pied du personnel d'encadrement, a-t-il dit. Mais pour administrer ces monstres de 10 000 à 11 000 employés, ça prend toute une structure administrative.»

Le président de la FTQ a rappelé que c'est Philippe Couillard, lorsqu'il était ministre de la Santé, qui a créé les CSSS afin de simplifier les structures en promettant qu'elles faciliteraient l'accès aux soins et offriraient de meilleurs services.

M. Boyer a rappelé que 10 ans plus tard, les résultats de cette réforme se faisaient toujours attendre et que le gouvernement risque de «ramer à contre-courant» en s'éloignant du patient.

La réaction a été similaire du côté de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui voit une «réforme comptable» qui ne «propose rien» pour la qualité des soins.

«Ce qu'on a besoin, c'est une réforme des soins et une réforme dans l'organisation des soins», a martelé sa présidente, Régine Laurent, qui se trouvait à Québec.

Cette dernière a dit comprendre la volonté de M. Barrette de vouloir réduire les cadres et la bureaucratie dans le réseau de la santé, mais se questionne sur l'efficacité de cette réforme compte tenu des «expériences passées».

«En 2003, au moment de la réforme de M. Couillard, il nous avait dit qu'il y aurait moins de cadres, soit le même discours qui nous est livré aujourd'hui», a rappelé Mme Laurent.

De son côté, l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) s'est demandé si les pouvoirs accrus du ministère de la Santé n'allaient pas mener vers du «favoritisme» lorsque viendra le temps de choisir des dirigeants d'établissements.

«Ça peut mener à des situations où des gens ne seront pas toujours choisis pour les bonnes raisons, s'est inquiété sa présidente, Carole Dubé. Le ministère semblait vouloir se donner un pouvoir plus grand sur les établissements.»