Le programme de procréation assistée a donné lieu à des « dérives » et n'est « pas viable ni acceptable », conclut le Commissaire à la santé et au bien-être, Robert Salois. Pour des raisons éthiques et financières, il recommande de mieux baliser ce programme et d'en limiter l'accès, ce qui entraînerait des économies potentielles de 30 %.

Comme l'écrivait La Presse vendredi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, envisage d'abolir le programme. Il tranchera d'ici l'automne. « Une réflexion doit se faire. Et dans la réflexion, il y a soit une restriction du programme qui dans tous les cas de figure doit arriver. Maintenant, est-ce que le programme sera maintenu ? Ça aussi, ça fait partie de la réflexion compte tenu de la situation budgétaire », a affirmé M. Barrette en conférence de presse.

« Notre gouvernement a dit qu'il allait y voir une révision des programmes. Ça, c'est un programme. Et ce programme-là dans son existence sera réévalué. La décision aujourd'hui n'est pas prise d'aucune manière », a-t-il ajouté. Il n'a pas précisé le budget réservé à ce programme pour 2014-2015.

Mais que le programme de procréation assistée reste public, devienne « partiellement public » ou revienne un service privé, il déposera un projet de loi cet automne pour imposer des balises. « Si le programme est pour exister encore, il devra être balisé d'une façon beaucoup plus serrée. Et le rapport nous identifie les balises d'une façon claire. Sur les balises, je suis d'accord avec le commissaire sur tout ce qu'il a identifié », a soutenu M. Barrette. Lorsqu'il était président de la Fédération des médecins spécialistes, il décrivait le programme de procréation assistée comme un « bar ouvert ».

Ce programme, lancé en 2010, aura coûté 70 millions de dollars en 2013-2014, selon les prévisions du ministère de la Santé et des Services sociaux. Le Commissaire propose que les parents paient une «  contribution financière » selon leur revenu pour le recours à la fécondation in vitro (FIV), donc que l'État n'essuie plus à 100% la facture de cette technique la plus coûteuse.

« Compte tenu des résultats disponibles actuellement, des retombées positives du programme et de l'évolution des valeurs sociales, le Commissaire est d'avis qu'il est préférable de maintenir le programme de procréation assistée au Québec », affirme M. Salois dans son rapport rendu public vendredi.

Il juge toutefois que « ce programme n'a pas été implanté avec l'encadrement nécessaire, ni les données pouvant soutenir cette prise de décision ». « Le statu quo n'est pas acceptable », soutient-il.

« On est assez catégorique : le programme dans les conditions actuelles n'est pas viable ni acceptable. Si on veut passer à une autre étape, il faut amener des améliorations », a affirmé Robert Salois en conférence de presse.

Plutôt que de limiter l'accès au programme aux seuls cas d'infertilité médicale, le Commissaire recommande de « reconnaître officiellement un accès pour tous aux services » - couples infertiles, homosexuels et femmes seules - « mais en imposant des balises claires et reconnues ».

Robert Salois juge que le programme devrait être plus « restrictif ». L'État devrait rembourser les services de procréation assistée jusqu'à concurrence de trois cycles de FIV pour un enfant seulement et à condition qu'un des deux parents n'ait pas d'enfant au préalable. Une personne qui a déjà bénéficié de trois cycles de FIV ne pourrait pas s'en prévaloir à nouveau même avec un autre partenaire. Cette mesure réduirait le nombre de cycles de FIV de 15 à 20%, estime le Commissaire.

Selon lui, la « capacité parentale » devrait être un critère d'accès au programme « lorsque survient un doute sérieux quant aux risques pour l'enfant à naître ». Toute personne demandant les services devrait signer un formulaire de déclaration sur ses antécédents psychosociaux - une évaluation psychosociale pourrait être exigée.

Alors que le programme actuel permet à une femme d'obtenir des services, peu importe son âge, le Commissaire recommande d'imposer une limite, « autant un âge maximal qu'un âge minimal ». « Ces limites devront être établies par consensus social », souligne-t-il. « En attendant d'avoir des lignes directrices consensuelles, le Commissaire estime que les cliniques devraient adopter unanimement un moratoire relativement à la FIV au-delà de 42 ans pour les femmes utilisant leurs propres ovules ».

Autres balises : les personnes qui ont fait le choix d'une « stérilisation volontaire dans une optique de contraception » devraient elles-mêmes payer les frais de la procréation assistée.

Pour avoir accès au programme, les deux parents d'intention devraient être admissibles au régime d'assurance maladie du Québec, afin d'éviter le « tourisme médical ». Aucune intervention ne devrait être entamée si le taux de succès se trouve sous le seuil minimal de 5 % à 10 % « pour éviter des interventions futiles et coûteuses qui, de surcroît, comportent des risques ». Les techniques en matière de procréation assistée devraient être choisies « en fonction de ce qui est médicalement indiqué ». Avant de recourir à la FIV, on pourrait utiliser l'insémination artificielle ou la stimulation ovarienne, selon le cas.

Robert Salois réclame un débat social sur le recours à une mère porteuse. Actuellement, on ferme les yeux sur cette pratique, une situation qui ne peut plus durer, selon lui.

Dans son rapport, le Commissaire souligne que le programme a permis de réduire le nombre de grossesses multiples. Leur proportion est passée de 38,5% en 2009-2010 à 17,2% en 2012-2013. Mais les hospitalisations en soins intensifs néonataux des nouveau-nés issus de la procréation assistée ont augmenté au lieu diminuer. Et le coût de ces hospitalisations a également grimpé. Le gouvernement Charest avait prévu que le programme s'autofinance grâce à une baisse des hospitalisations, ce qui n'est finalement pas le cas, souligne le commissaire.

Il y a eu des dépassements de coût. En 2010-2011, la facture était de 30,3 millions de dollars. Elle sera de 70 millions en 2013-2014, selon les prévisions.

Robert Salois déplore un manque de données pour bien évaluer le programme. Il doit y avoir « de toute urgence » une banque de données pour suivre les retombées des activités de procréation assistée sur la santé des mères et des enfants. Contrairement à ce qui était promis au lancement du programme il y a quatre ans, aucun registre n'a encore vu le jour.

Robert Salois avait eu le mandat d'examiner ce programme en février 2013, sous le gouvernement Marois.