Alors que son homologue français reçoit aujourd'hui un rapport pour favoriser un «nous inclusif et solidaire» et permettre le voile à l'école aux étudiants, la première ministre du Québec Pauline Marois affirme que la France constitue une «inspiration» pour son projet de charte de la laïcité.

«Il y une inspiration commune, (soit) les valeurs qu'une société partage et un respect de la religion de tous et chacun, par le fait que la neutralité de l'État soit évidente et mise de l'avant», a affirmé Mme Marois vendredi midi, au terme d'un entretien de 90 minutes avec la premier ministre français Jean-Marc Ayrault, à Matignon. Ils ont parlé de fiscalité, d'électrification des transports, de l'Accord économique commercial et global Canada - Union européenne ainsi que de laïcité.

M. Ayrault venait de rendre public un rapport qu'il avait commandé ce printemps pour «refonder la politique d'intégration». Le rapport compte cinq volets, dont un de 93 pages sur la «politique française de l'égalité».

> Le rapport français (PDF)

On y propose notamment de permettre le voile aux élèves du réseau public et privé subventionné. Une loi adoptée en 2004 à forte majorité l'avait proscrit. Cette interdiction comporte «de manière implicite une logique discriminatoire» et sert de «justification pour une extension des pratiques discriminatoires dans de nombreux secteurs», selon les deux chercheurs, Fabrice Dhume et Khalid Hamdani.

Le rapport propose aussi de ne plus interdire aux mères voilées d'accompagner les élèves lors des sorties scolaires. «Cette situation entre de surcroît en parfaite contradiction avec l'injonction qui est faite par ailleurs aux parents de s'impliquer dans le suivi scolaire de leurs enfants», y lit-on.

Ces recommandations vont à sens contraire d'un récent avis du Haut conseil à l'intégration, qui proposait cet été d'étendre l'interdiction des signes religieux aux élèves. Elle devrait désormais s'appliquer aussi à l'université, recommandait l'organisme. 

Enterrement rapide

Mais le gouvernement français a vite enterré cette recommandation. Pas question de permettre le retour du hidjab aux étudiants dans les écoles, a insisté M. Ayrault en point de presse avec Mme Marois vendredi midi. «Est-ce qu'on a dit ça une fois? Est-ce qu'on en a l'intention? Évidemment pas», a-t-il lancé.

Plus tôt dans la journée, le chef de l'UMP, Jean-François Copé, avait accusé le premier ministre français de vouloir «ériger le communautarisme en nouveau modèle».

M. Ayrault, qui avait voté en faveur de cette loi en 2004, accuse son adversaire de «mentir» pour charmer son électorat qui «file de plus en plus vers l'extrême droite et le Front national».

Quand il a commandé le rapport le printemps dernier, c'était pour «remettre en marche le modèle d'intégration républicaine qui aujourd'hui est en panne», et non pour s'en dissocier, soutient M. Ayrault. «Il s'agit à la fois d'accueillir les premiers arrivants, de leur donner les moyens de s'adapter, s'intégrer, comprendre nos lois et nos règles, et de donner aux Français, quelles que soient leurs origines, la chance de pouvoir trouver leur place dans la société en vertu des principes de la République.»

De la «musique aux oreilles» de Marois  

M. Ayrault n'a pas voulu se prononcer directement sur le projet de charte péquiste, qui va moins loin que les lois françaises. Mme Marois voudrait interdire le port de signes religieux ostentatoires aux employés de l'État, mais pas aux étudiants.

«Entre le Québec et la France, il y a tellement de choses en commun que nous apprenons les uns des autres. Ce qui est important, c'est le vivre ensemble, de développer des valeurs», a dit le premier ministre français.

«Les propos de Jean-Marc Ayrault sont de la musique à mes oreilles, a réagi Mme Marois. Vous connaissez très bien notre point de vue. Ce sont les mêmes mots que j'utilise à l'Assemblée nationale du Québec.»

M. Ayrault a rappelé que le Québec et la France partagent la même langue commune, qui n'est pas seulement un outil de communication. «La langue, ce n'est pas seulement un usage, c'est aussi des valeurs, qui sont le respect des autres et le vivre-ensemble, qui fait qu'on va chercher tout ce qui va nous rassembler au lieu de nous diviser. Et la laïcité est au coeur de cette démarche. C'est justement ça qui permet le vivre ensemble», a-t-il expliqué. 

«Libération de la parole raciste» 

Le rapport est très critique de la laïcité française, en place depuis le début du 20e siècle, instaurée pour éviter des conflits entre les athées ainsi que les différentes branches du christianisme.

«Le grand retour du thème de la laïcité est moins lié à un enjeu de religion (et de rapport de l'État avec les religions, problème qui est globalement réglé) qu'avec un enjeu idéologique pour le nationalisme: utiliser la question de la religion pour maintenir à distance la reconnaissance des populations vues comme «musulmanes». Nous savons, à travers le travail historien et politologique, que cet usage de la laïcité comme question polémique et clivante est le fruit d'entreprises politiques de groupes proches du pouvoir pour asseoir leur position», écrivent les chercheurs.  

La principale cible serait «le statut de l'islam», ce qui aurait des «effets concrets en termes de libération de la parole raciste».

«Cette cristallisation conduit à renforcer l'altérisation et à dramatiser tout particulièrement le statut de l'islam, en le construisant en «obstacle à l'intégration» - alors que tous les travaux scientifiques sur le rapport des musulmans à la société française invalident cette analyse», ajoutent-ils.