Un projet de loi d'une très grande portée destiné à garantir l'intégrité des fournisseurs pour l'ensemble des «marchés publics» sera déposé par le gouvernement Marois dans les premiers jours de la session parlementaire, qui débute la semaine prochaine. Cette annonce sera d'ailleurs le plat de résistance du message inaugural dévoilé mercredi prochain, à l'Assemblée nationale.

Selon les informations recueillies par La Presse auprès de plusieurs sources gouvernementales, Québec a décidé de mettre de côté l'approche de la loi qu'a fait adopter le gouvernement Charest pour priver de contrats les entrepreneurs déclarés coupables de fraude fiscale ou d'infractions criminelles (loi 35).

D'abord, on a décidé de toucher beaucoup plus que le seul secteur de la construction. En visant l'ensemble des «marchés publics», la législation concernera tous les contrats, dans la construction mais aussi dans la fourniture de biens et services. Par exemple, une entreprise d'informatique ou une société de déneigement pourra être privée de contrat si elle fait l'objet d'accusations de fraude en lien avec ses activités.

Depuis plusieurs jours, la ministre du Travail, Agnès Maltais, fait gonfler les attentes sur ce projet de loi - qui risque d'être le premier de l'administration Marois. Elle a même soutenu devoir maintenir le plus grand secret sur ce projet pour freiner la curiosité du monde interlope. «La corruption est tellement rendue intégrée dans le système qu'on est très, très prudents», a-t-elle dit, en décrivant le «tout petit cercle» qui connaît la proposition du gouvernement. «On ne veut pas que les gens se préparent à ce qu'on fait, on ne veut pas qu'il y ait de coulage», a-t-elle ajouté. Mercredi, à son arrivée à la réunion du Conseil des ministres, elle a indiqué que le projet de loi allait être déposé «très rapidement» après l'ouverture des travaux à l'Assemblée nationale.

En fait, c'est plutôt le président du Conseil du Trésor, Stéphane Bédard, qui parrainera le projet de loi pour lequel quatre ministères, Trésor, Travail, Justice et Sécurité publique, ont mis la main à la pâte.

Le projet de loi visera non seulement les contrats du gouvernement du Québec, mais aussi ceux de l'ensemble des municipalités. En prime, les maires, qui ont souvent fait valoir leurs inquiétudes d'être l'objet de pressions d'entrepreneurs, disposeront d'un mécanisme pour braquer les projecteurs sur les représentations indues.

En campagne électorale, le Parti québécois (PQ) s'est engagé à colmater les brèches de la loi 35, parrainée par Lise Thériault. De l'aveu même du gouvernement libéral, cette loi nécessitait des améliorations. L'entrepreneur reconnu coupable était privé de contrats, mais rien n'empêchait son entreprise de conserver ses mandats en apportant des changements à la structure de l'entreprise. Les firmes de Tony Accurso ont, par exemple, pu conserver leurs importants contrats de routes et de viaducs parce que la responsabilité des sociétés a été confiée à sa fille, Lisa, ingénieure.

Cette brèche a permis à la famille Accurso de conserver ses contrats, par l'entremise de la société en commandite Louisbourg SBC, même si Louisbourg Construction et Simard-Beaudry se sont reconnues coupables d'accusations d'évasion fiscale.

Le nouveau projet de loi prend le problème à rebours. Au lieu de sortir les contrevenants, on établira en premier lieu un «registre d'entreprises admissibles». Pour y figurer, les firmes devront répondre à une série de critères, dont celui de ne pas faire l'objet de poursuites.

«Patte blanche»

À cause de l'ampleur de la portée de la loi, ce ne sera plus la Régie du bâtiment qui reconnaîtra l'accréditation des entreprises. Le Conseil du Trésor aura désormais la main haute sur cette liste de fournisseurs agréés.

Pour justifier sa décision d'écarter des firmes, le gouvernement soutiendra que pouvoir faire affaire avec l'État ou les municipalités n'est pas un droit fondamental, mais un privilège. Les firmes sont toujours libres de trouver leurs contrats ailleurs. «Pour faire affaire avec l'État, il y aura des conditions, et l'une d'elles sera de montrer patte blanche du point de vue de l'intégrité.»

À leur arrivée aux affaires, les élus péquistes n'ont pas eu à soupeser longtemps les scénarios envisagés par le gouvernement libéral pour colmater les brèches de la loi. Malgré les engagements publics de Jean Charest et de l'ex-ministre Lise Thériault, les cartons du gouvernement étaient vides, littéralement. Même du point de vue des fonctionnaires en poste, rien de conséquent n'était amorcé pour déposer une seconde mouture de la loi jugée déficiente.

Adoptée en décembre 2011, la loi 35 empêche un entrepreneur d'obtenir des contrats publics pour une durée de cinq ans lorsqu'il est reconnu coupable d'une fraude fiscale ou d'une infraction criminelle grave - gangstérisme, banditisme, importation de drogue, production de cannabis.

Durant la campagne électorale, les libéraux s'étaient engagés à ce que l'interdiction soit imposée dès qu'un entrepreneur était accusé, sans attendre qu'un verdict soit prononcé. Pas moins de 46 entrepreneurs en construction étaient dans cette situation il y a quelques semaines.

Le Parti libéral s'était aussi engagé à procéder rapidement. Les libéraux voulaient ajouter l'extorsion, la corruption, l'abus de confiance et le complot à la liste des infractions graves.