Le comité de la justice de la Chambre des communes accepte d'entendre l'ex-conseiller principal de Justin Trudeau, Gerald Butts, et va plus loin en réinvitant le greffier du Conseil privé Michael Wernick au lendemain du témoignage-choc de l'ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould.

Le président du comité de la justice, le député libéral Anthony Housefather, a fait savoir dans une déclaration écrite que des précisions s'imposent au sujet des conversations tenues les 18 et 19 décembre sur l'affaire SNC-Lavalin.

« Nous croyons qu'il est important que M.  Butts réponde au compte rendu de la réunion du 18, fourni par Mme  Jody Wilson-Raybould, en plus des autres allégations le concernant et concernant ses collègues du cabinet du premier ministre mentionnées dans le témoignage de Mme  Wilson-Raybould », a écrit M. Housefather.

Le comité invite aussi la sous-ministre de la Justice, Nathalie Drouin, qui a déjà comparu la semaine dernière, à témoigner de nouveau, tout comme M. Wernick.

« Étant donné que M.  Wernick et Mme  Drouin ont comparu devant le Comité avant que le privilège de confidentialité du Cabinet et le secret professionnel de l'avocat ne soient levés dans le dossier SNC pour les témoignages devant le Comité, et que Mme Wilson-Raybould les a mentionnés dans le cadre de l'appel téléphonique du 19 décembre et des événements suivants, nous aimerions connaître leurs versions des faits et conversations mentionnés dans le témoignage de Mme  Wilson-Raybould », explique le président du comité.

Les dates de ces nouvelles comparutions n'ont cependant pas encore été arrêtées. Il faut préciser que les travaux de la Chambre des communes sont ajournés à compter de demain, et ce, jusqu'au 18 mars prochain. « Nous envisagerons les prochaines étapes après avoir entendu ces témoins », conclut le président dans sa lettre.

Un peu plus tôt en journée, Gerald Butts a réclamé le droit de témoigner devant le comité de la justice au lendemain du témoignage de Mme Wilson-Raybould.

« J'ai écouté le témoignage de l'honorable Jody Wilson-Raybould hier. Je crois que ma version des faits sera utile au comité de la justice dans ses travaux pour examiner cette question. Je réclame respectueusement l'occasion de témoigner devant vous », a écrit Gerald Butts dans une lettre adressée au président du comité, le député libéral Anthony Housefather.

Gerald Butts a démissionné de ses fonctions le 18 février dans la foulée des révélations du Globe and Mail selon lesquelles le bureau du premier ministre aurait exercé des pressions indues sur Mme Wilson-Raybould pour éviter un procès criminel à SNC-Lavalin.

« J'ai besoin d'une courte période de temps pour obtenir les avis juridiques et de rassembler les documents pertinents pour le comité », a ajouté M. Butts.

Ce nouveau développement survient alors que l'étau semble se resserrer de plus en plus autour du bureau du premier ministre Justin Trudeau et ses proches collaborateurs.

Après avoir réclamé la démission Justin Trudeau mercredi soir dans la foulée du témoignage percutant de l'ancienne ministre Jody Wilson-Raybould dans l'affaire SNC-Lavalin, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer a formellement porté plainte à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) mercredi pour le déclenchement d'une enquête policière.

« Le témoignage explosif de l'ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould a confirmé une campagne 'constante et continue'en faveur d'une ingérence politique dans le pouvoir discrétionnaire de poursuivre », écrit le chef conservateur dans sa lettre à la commissaire de la GRC, Brenda Lucki.

« Ce sont des allégations extrêmement graves. Et je n'écris pas ces mots à la légère. Cependant, l'affaire en question semble être une infraction flagrante à la loi. Je crois qu'il est de mon devoir de vous informer de cette affaire », ajoute-t-il.

M. Scheer évoque deux articles du Code criminel, notamment l'article 423.1 (1) qui stipule qu'il est interdit « de commettre des actes avec l'intention de faire peur au procureur général » et l'article 139 qui criminalise toute tentative de « faire obstruction au cours de la justice ou de le défaire ».

M. Scheer a envoyé cette lettre alors que les députés tiendront un débat d'urgence à compter de 19 h à la Chambre des communes dans la foulée du témoignage de Jody Wilson-Raybould.

Témoignant avec aplomb pendant plus de trois heures, l'ancienne procureure générale a provoqué un tsunami politique hier en affirmant avoir subi quatre mois de pressions « soutenues » et « indues » pour qu'elle revienne sur la décision de la Directrice des poursuites pénales (DPP) de ne pas négocier un accord de réparation avec SNC-Lavalin.

Mme Wilson-Raybould a témoigné que ces « pressions inappropriées » avaient été exercées par 11  personnes - de Justin Trudeau au ministre des Finances, Bill Morneau, en passant par le greffier du Conseil privé, Michael Wernick, et les proches collaborateurs du premier ministre tels que Gerald Butts, Katie Telford et Mathieu Bouchard.

Au moins 10  rencontres et 10  appels téléphoniques ont eu lieu en tout entre le 4  septembre - date à laquelle la DPP Kathleen Roussel a écarté toute négociation d'un accord de réparation avec la firme québécoise - et le 19  décembre afin qu'elle « trouve une solution » pour infirmer cette décision.

« [Mme Wilson-Raybould] a confirmé qu'il y avait eu des 'menaces voilées'sur les conséquences si elle ne se pliait pas à la volonté politique du Parti libéral, et pour les intérêts financiers des actionnaires de SNC-Lavalin », écrit aussi M. Scheer. « Il est également clair que ces actions provenaient des plus haut niveaux du gouvernement. »

Trudeau maintient sa version

Le premier ministre Justin Trudeau maintient que lui et les membres de son bureau ont « toujours agi de façon appropriée et professionnelle » lors de leurs interventions auprès de l'ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, dans l'affaire SNC-Lavalin.

De passage aux installations de l'Agence spatiale canadienne à Saint-Hubert ce matin, au lendemain du témoignage-choc de son ancienne ministre devant le comité de la justice, Justin Trudeau a réaffirmé essentiellement ce qu'il avait dit hier.

« Je suis tout à fait en désaccord avec les conclusions de Mme Wilson-Raybould. Nous sommes toujours battus pour les emplois et nous sommes capables de le faire dans le respect des lois », a-t-il indiqué devant les médias. Tout comme hier, il a aussi indiqué qu'il n'avait pas décidé, pour l'heure, s'il allait expulser Mme Wilson-Raybould de son caucus.

Interrogé par les journalistes, M. Trudeau a indiqué ce matin qu'« à sa connaissance », personne au sein de son entourage n'avait été rejoint par la GRC. « Le comité de la justice poursuit son travail et nous allons continuer de le respecter. Nous allons aussi participer pleinement aux travaux du commissaire à l'éthique », a informé M. Trudeau.

Pour sa part, le ministre des Finances Bill Morneau a nié en point de presse avoir exercé des pressions sur son ancienne collège du cabinet dans le dossier de SNC-Lavalin.

Un porte-parole parole de son bureau, Pierre-Olivier Herbert, a déclaré : « C'est la responsabilité du ministre Morneau de protéger et de promouvoir la création d'emplois partout au Canada. Il continuera de soulever ces questions importantes avec tous ses collègues du Cabinet. Le ministre Morneau et les membres de son bureau n'ont jamais fait pression sur l'ancienne ministre de la Justice et Procureure générale pour qu'elle prenne une quelconque décision au sujet de la poursuite de SNC Lavalin. »

Il faut rappeler que le commissaire à l'éthique et aux conflits d'intérêts, Mario Dion, a déjà confirmé qu'il allait mener une enquête sur de « possibles tentatives d'influence » dans l'affaire SNC-Lavalin.

La firme québécoise cherche à négocier un accord de réparation avec Ottawa ce qui permettrait à l'entreprise, accusée de fraude et de corruption pour avoir versé 47  millions en pots-de-vin entre 2001 et 2011 pour obtenir des contrats du gouvernement de la Libye, d'éviter un procès criminel.

Un verdict de culpabilité priverait l'entreprise québécoise de contrats publics fédéraux pendant 10  ans.