Le premier ministre Justin Trudeau dément en bloc « les allégations » du Globe and Mail selon lesquelles son bureau aurait fait pression sur l'ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour qu'elle intervienne à la faveur d'une entente hors cour dans le dossier de fraude et corruption de SNC-Lavalin.

« Les allégations du Globe and Mail sont fausses », a martelé jeudi matin Justin Trudeau lors d'un point de presse tenue en marge d'une annonce dans la banlieue de Maple, à Vaughan en Ontario.

« Ni moi ni mon bureau n'avons demandé quoi que ce soit au procureur général actuel ou précédent », a-t-il ajouté, réaffirmant que le Canada respectait « la primauté du droit ».

Selon The Globe and Mail, qui cite plusieurs sources anonymes dans un long reportage publié ce matin, des membres du bureau du premier ministre auraient tenté de convaincre Mme Wilson-Raybould d'intervenir à la suite d'une décision du procureur du Service des poursuites pénales du Canada qui a refusé, l'automne dernier, de négocier une entente hors cour avec la firme d'ingénierie.

L'ex-ministre, qui a perdu a été muté au ministère des Anciens combattants à la mi-janvier à la suite d'un remaniement ministériel et qui a été remplacé par le député montréalais David Lametti, aurait refusé d'obtempérer, selon le quotidien.

Scheer ne croit pas le PM

Convoquant les journalistes dans le foyer de la Chambre des communes sur l'heure du midi pour réagir à cette affaire, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a mis en doute les dénégations du premier ministre, accusant Justin Trudeau de manquer de transparence et d'avoir répété des déclarations rédigées par les avocats du bureau du premier ministre.

M. Scheer, qui a promis de déployer tous les efforts parlementaires possibles pour aller au fond de cette affaire, a même fait un parallèle entre la rétrogradation de Mme Wilson-Raybould, survenue quelques mois après avoir refusé d'intercéder en faveur de SNC-Lavalin, et la décision du président des États-Unis Donald Trump de limoger le Procureur général Jeff Sessions parce que ce dernier refusait de mettre fin à l'enquête menée par Robert Mueller sur la collusion entre des membres de la campagne de M. Trump et la Russie durant les élections présidentielles de 2016.

« Les informations publiées aujourd'hui dans le Globe and Mail concernant l'ingérence du cabinet du premier ministre dans une poursuite criminelle sont extrêmement troublantes. Ce qui est peut-être encore plus choquant, c'est que le premier ministre lui-même semble avoir mis la porte sa ministre de la Justice pour avoir refusé de se soumettre à ses demandes. Nous l'avons vu ailleurs sur la scène internationale lorsque de dirigeants renvoient leurs procureurs généraux pour avoir défié leur ordre », a dit M. Scheer.

« Le premier ministre doit immédiatement dire aux Canadiens ce qu'il savait de cette affaire, et à quel moment il l'a su. Rien de moins que toute la vérité n'est acceptable. Ses réponses soigneusement rédigées par ses avocats ont été décevantes à cet égard. S'il continue à ne pas faire preuve de transparence envers les Canadiens, les conservateurs déploieront tous les efforts et exploreront toutes les options pour s'assurer que Justin Trudeau et les membres de son cabinet soient tenus responsables de leurs actes. Les Canadiens méritent des réponses », a-t-il ajouté.

Mme Wilson-Raybould a refusé de commenter les informations rapportées et ne doit pas non plus réagir publiquement aujourd'hui.

Des accusations de fraude et de corruption pèsent contre la firme SNC-Lavalin, qui aurait versé des millions de dollars en pot-de-vin entre 2001 et 2011 pour s'assurer d'obtenir des contrats avec le gouvernement de la Libye.  

Fortement ébranlée par ces accusations, la firme québécoise a par la suite fait du lobbying auprès d'Ottawa pour que le gouvernement canadien se dote d'un « régime d'accord de réparation ». SNC-Lavalin cherchait ainsi à éviter un procès coûteux qui risquait d'entacher la réputation de centaines d'employés, en plus de compromettre l'avenir de ses activités en la privant de nombreux contrats publics.

La firme aurait fait valoir ces arguments auprès de représentants du gouvernement fédéral, rapporte The Globe and Mail, qui cite l'extrait d'une note de breffage en 2017. Ottawa a bel et bien adopté un régime d'accord de réparation en mars 2018, ce qui avait été vu à l'époque comme une excellente nouvelle par les investisseurs de SNC-Lavalin.  

Le Service des poursuites pénales du Canada a toutefois décrété en octobre dernier que SNC ne remplissait pas les critères pour se prévaloir de ce régime, une annonce qui a été reçue comme une douche froide par les marchés financiers. Des sources anonymes citées par le Globe and Mail allèguent que la décision de Mme Raybould-Wilson aurait provoqué la colère au bureau du premier ministre.