Les mots prononcés en mohawk par le député libéral Marc Miller en juin 2017 ont résonné bien au-delà des murs de la Chambre des communes. L'élu montréalais récidivera aujourd'hui en livrant cette fois une allocution de 20 minutes, entièrement en kanyen'kéha, pour marquer à sa manière le dépôt du projet de loi historique sur les langues autochtones.

Il l'admet lui-même, il a été un peu « naïf » en se lançant le défi d'apprendre à parler mohawk. « Lors de mes tournées dans les communautés, c'était unanime. Il y avait ce cri d'alarme pour les langues autochtones », se souvient le député, aussi secrétaire parlementaire de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett.

«  [La langue], c'est la façon de communiquer, de former des idées. C'est très émotionnel, explique-t-il. [Cet apprentissage] me donne une tout autre perspective. »

Le gouvernement a déposé mardi son attendu projet de loi, promis par le premier ministre Justin Trudeau en 2016, visant la protection et la revitalisation des langues autochtones au pays, dont les trois quarts sont menacées d'extinction, selon l'UNESCO. L'an 2019 a par ailleurs été proclamé Année internationale des langues autochtones par l'organisation.

Marc Miller prononcera son exposé lors des débats entourant la deuxième lecture du projet de loi en Chambre. « Il s'agit d'un discours pour rendre hommage à la langue autochtone et au combat de ces peuples pour la préserver », a-t-il confié lors d'un entretien à La Presse, à la mi-janvier, alors qu'il s'exerçait toujours à maîtriser son allocution.

C'est que le député n'a pas cessé son apprentissage après s'être exprimé une première fois en mohawk à l'occasion du Mois national de l'histoire autochtone, le 1er juin 2017. Son discours d'environ une minute - qu'il a préparé pendant des mois - n'est pas passé inaperçu. Sa démarche a même été citée dans The New York Times et The Guardian.

C'était la première fois que le mohawk était parlé à la Chambre des communes depuis la Confédération de 1867. « Du jour au lendemain, [la vidéo] a fait le tour de la planète », indique celui qui était loin d'anticiper une réaction aussi grande. « C'est comme si j'avais tiré une corde émotionnelle qu'on n'est pas habitués de voir », illustre-t-il.

Apprentissage complexe

« J'ai voulu continuer à apprendre », ajoute le député de Ville-Marie-Le-Sud-Ouest-Île-des-Soeurs. Depuis deux ans, donc, Marc Miller se familiarise avec le kanyen'kéha. Il consacre en moyenne une heure par jour à son apprentissage de la langue par l'entremise de la formation en ligne offerte par le centre pour adultes Onkwawenna Kentyohkwa, en Ontario.

« Il me fallait trouver une formation qui m'était abordable en matière de flexibilité en raison de mon emploi de député. Le contexte et le format en ligne se prêtaient parfaitement à mes besoins. Dans les temps morts, à bord du train ou en attendant l'avion, au lieu de regarder des films, je fais mes cours », explique le politicien.

Il allie l'étude active et l'écoute passive au quotidien. Il a pris l'habitude d'écouter une émission radiophonique animée par des aînés de Kahnawake lorsqu'il marche pour se rendre au travail. « Ça me calme », admet-il.

Pour l'heure, M. Miller dit maîtriser le mohawk suffisamment pour être capable de se présenter. « Je peux parler de mes enfants, de ma femme. Je peux comprendre certaines phrases simples [...]. Mon objectif est de pouvoir parler et d'entretenir une conversation », exprime-t-il.

« Les linguistes disent que c'est une langue aussi inapprochable que le japonais ou le russe. » - Marc Miller

Brian Maracle, le professeur du centre Onkwawenna Kentyohkwa, situé dans la communauté des Six Nations, près de Brantford, et avec lequel il s'est lié d'amitié, l'aide dans sa tâche.

« [Le mohawk] est une langue très relationnelle. Les mots changent selon le contexte, c'est très complexe », estime celui qui a également appris le suédois il y a quelques années.

Liens uniques

La tâche est ardue, avoue Marc Miller, mais l'apprentissage du kanyen'kéha lui a aussi ouvert une porte nouvelle dans ses fonctions parlementaires. « Ça m'a sensibilisé à certains aspects de la réalité autochtone, précise-t-il. Ça me permet de rencontrer des gens que je n'aurais jamais rencontrés dans des circonstances ordinaires. »

« Ces gens m'ont ouvert une fenêtre sur leur façon de penser, une façon de penser qu'historiquement nous avons mal comprise. » - Marc Miller

« [Maintenant], lorsque j'entre dans une communauté, j'insiste pour aller voir les écoles, aller voir les gens qui m'ont contacté [dans le cadre de ma démarche d'apprentissage]. Tout ça me donne un meilleur portrait des communautés », convient-il avec humilité.

Le mohawk compte quelque 2300 locuteurs, principalement au Québec et en Ontario, selon le dernier recensement de Statistique Canada. Au Québec seulement, les communautés d'Akwesasne, de Kahnawake et de Kanesatake regroupent pourtant plus de 16 500 membres, selon le Secrétariat aux affaires autochtones.