Alors que des élections fédérales se profilent à l'horizon et que les libéraux fédéraux misent sur des gains au Québec pour obtenir un deuxième mandat majoritaire, le premier ministre du Québec François Legault a profité de sa troisième rencontre en quatre mois avec son homologue fédéral Justin Trudeau jeudi pour exiger qu'Ottawa passe de la parole aux actes dans les dossiers prioritaires pour son gouvernement caquiste.

M. Legault a notamment réclamé que le gouvernement fédéral cède au Québec les responsabilités de percevoir tous les impôts sur son territoire et accepte ainsi l'instauration d'une déclaration de revenus unique gérée par la province - une promesse phare de la CAQ durant la dernière élection provinciale, à laquelle le gouvernement Trudeau avait déjà opposé une fin de non-recevoir en mai dernier.

En point de presse, M. Legault a fait valoir que cette mesure entraînerait certes des pertes d'emplois chez les quelque 5000 fonctionnaires qui travaillent pour l'Agence fédérale du revenu au Québec, mais qu'elle permettrait d'économiser 500 millions de dollars en dédoublement qui pourraient être investis dans l'éducation et l'innovation.

Il a aussi fait valoir que le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, faisait sienne l'idée d'instaurer une déclaration de revenus unique pour les contribuables québécois, glissant ainsi un immense caillou dans les souliers de Justin Trudeau alors qu'il se prépare à s'élancer en piste pour le marathon électoral.

ENJEUX MIGRATOIRES

Durant sa rencontre, François Legault a aussi réitéré sa demande de réduire temporairement le nombre d'immigrants qui s'installent au Québec, et ce, dès 2019, de 20 % dans les trois catégories d'immigration (immigrants économiques, réunification familiale et réfugiés), et d'ajouter des tests de français et de valeurs auxquels devraient se soumettre à l'avenir les candidats à l'immigration - une demande qu'Ottawa juge peu judicieuse alors que le Québec doit composer avec une pénurie de main-d'oeuvre.

M. Legault a en outre exigé des compensations financières de 300 millions pour les coûts liés à l'arrivée de dizaines de milliers de migrants qui ont traversé la frontière canado-américaine de manière irrégulière, pour la plupart en utilisant le chemin Roxham, près du poste frontalier de Saint-Bernard de Lacolle. 

Enfin, M. Legault a réclamé des engagements plus précis en matière de financement de projets d'infrastructures, en particulier pour ce qui est du prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal.

« Il est temps de passer à l'action », a laissé tomber M. Legault durant un point de presse à l'issue de sa rencontre avec Justin Trudeau, optant pour un ton nettement plus revendicateur dans ses relations avec le gouvernement fédéral. Selon M. Legault, M. Trudeau s'est engagé à regarder l'ensemble de ces dossiers, sans toutefois prendre d'engagements fermes.

« On attend des réponses. On espère dans les prochaines semaines avoir des réponses et avoir un peu plus de confirmations », a-t-il ajouté, précisant qu'il souhaitait avoir ces réponses d'ici la tenue d'une rencontre de son cabinet prévue à Gatineau, dans deux semaines.

UN LEVIER NOMMÉ SCHEER

Devant les journalistes, M. Legault, qui était accompagné de la ministre de la Justice Sonia LeBel, qui est aussi ministre responsable des Relations canadiennes, a pris soin de noter que les conservateurs d'Andrew Scheer appuyaient certaines des revendications de son gouvernement, notamment celle touchant l'instauration d'une déclaration de revenus unique.

« Vous savez qu'Andrew Scheer est d'accord avec la déclaration de revenus unique gérée par le gouvernement du Québec ? Il y a une élection fédérale en 2019, ai-je besoin de vous expliquer ça en détail ? [...] », a-t-il dit. 

« Ce que j'ai compris, c'est qu'il va y avoir une réflexion. [...] Je pense que ce serait un beau cadeau en 2019 d'offrir aux Québécois un seul rapport d'impôts à remplir. » - François Legault

Après avoir évoqué le nom du chef conservateur, M. Legault a affirmé ne « pas avoir l'intention d'appuyer un parti politique plus qu'un autre » durant la campagne fédérale.

Si M. Trudeau, qui a convoqué une retraite de trois jours de son cabinet à Sherbrooke qui prend fin vendredi, a dit être prêt à examiner ces dossiers, les ministres de son gouvernement se sont montrés plus prudents.

UN ENJEU POUR SHAWINIGAN

Le ministre de l'Infrastructure et des Collectivités, François-Philippe Champagne, a affirmé que Revenu Canada procurait de bons emplois rémunérateurs aux Québécois et que la création d'une déclaration de revenus unique pourrait frapper durement des régions comme celle qu'il représente, la Mauricie, où se trouve l'un des plus importants centres fiscaux de l'Agence du revenu au pays.

« On est toujours pour la simplification de la vie des Québécois et des Québécoises, particulièrement quand on parle d'impôts. Par contre, il faut savoir qu'on a 4700 employés fédéraux qui sont employés par l'Agence du revenu national. Il faut savoir aussi, quand on vient de Shawinigan qui a un centre fiscal, qui est un des plus grands, pour moi c'est un enjeu particulièrement important », a dit M. Champagne. 

« Les déclarations de revenus qui sont traitées au Québec ne proviennent pas nécessairement toutes du Québec. Nous, on veut préserver ces emplois. » - François-Philippe Champagne

De son côté, le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, qui était présent à la rencontre des premiers ministres, a fait savoir que le gouvernement Trudeau était prêt à discuter du dossier du seuil d'immigration, mais dans une perspective plus large qui tiendrait compte des besoins des entreprises en main-d'oeuvre.

M. LeBlanc a indiqué que de nombreuses entreprises au Québec sont durement affectées par une pénurie de travailleurs, si bien que certaines d'entre elles refusent des commandes, faute d'employés.

« Au Québec, la communauté des affaires est énormément inquiète de la pénurie de main-d'oeuvre. On ne veut pas que cela freine la croissance économique importante que connaît le Québec. [...] Ce que nous avons proposé au gouvernement du Québec, c'est qu'on ait une discussion cohérente autour de ces enjeux ensemble. Nous allons traiter la question des demandeurs d'asile, les seuils d'immigration et la pénurie de main-d'oeuvre ensemble », a-t-il dit.

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140 MILLIONS Somme offerte jusqu'à maintenant par le gouvernement fédéral en guise de compensation