Le cas d'une adolescente saoudienne dont la fuite de l'emprise d'une famille prétendument violente a attiré l'attention internationale est un cas rare où les astres se sont alignés pour l'obtention d'une protection rapide au Canada, alors que d'autres personnes dans des situations similaires ne peuvent pas compter sur la même réponse, ont souligné lundi des experts en immigration.

Rahaf Mohammed Alqunun, âgée de 18 ans, a été sous les projecteurs plus tôt ce mois-ci quand elle a tenté d'échapper à sa famille, lors d'une visite au Koweït, en se rendant à Bangkok et en se barricadant dans une chambre d'hôtel d'un aéroport. De cet endroit, elle a lancé un message sur Twitter disant qu'elle craignait pour sa vie si elle rentrait chez elle.

Rahaf Mohammed Alqunun a atterri samedi à Toronto après que le gouvernement canadien eut annoncé qu'il avait accepté de la réinstaller à la demande du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Bien que son succès puisse encourager d'autres personnes confrontées à un problème similaire à chercher asile, il y a trop de variables en jeu pour savoir comment elles seraient reçues, ont affirmé des experts dans les procédures de réfugiés, ajoutant que la grande majorité des cas prenaient des années à se résoudre.

«Les autorités thaïlandaises ont choisi de suivre une procédure de protection dans l'affaire Rahaf Mohammed, mais personne ne peut garantir que cela se produira à l'avenir avec plus ou moins de cohérence ou de fréquence», a fait valoir Sharry Aiken, experte en droit et politique de la migration à l'Université Queen's.

«Alors, bien qu'il puisse y avoir, immédiatement après son affaire, d'autres tentatives, je suppose que nous ne pouvons pas compter sur le succès de ces tentatives de la même manière», a-t-elle ajouté.

Elle a évoqué le cas de Dina Ali Lasloom, une autre femme saoudienne qui a quitté sa famille au Koweït en 2017, mais qui a été arrêtée alors qu'elle était en déplacement aux Philippines. Avec l'aide d'un voyageur canadien, Mme Lasloom a publié une vidéo sur Twitter décrivant son sort, mais les médias ont rapporté qu'elle avait été renvoyée en Arabie saoudite peu de temps après.

La visibilité sur les réseaux sociaux n'est pas gage de réussite

Certains pays, tels que le Canada, peuvent être influencés s'ils savent qu'une situation se joue aux yeux du public, mais on ignore dans quelle mesure cela compte pour les soi-disant États de transit tels que la Thaïlande et les Philippines, a indiqué Mme Aiken.

«Il est important de comprendre que ce ne sont pas toutes les campagnes Twitter qui vont aboutir à une action efficace», a-t-elle souligné.

Chantal Desloges, une avocate spécialisée en droit de l'immigration installée à Toronto, a affirmé que, même si le Canada doit être félicité pour avoir accueilli Rahaf Mohammed Alqunun, cette décision pourrait avoir des «conséquences troublantes» pour d'autres personnes en attente d'aide.

«Je crains que cela incite d'autres personnes à penser qu'elles peuvent bombarder les organisations et le gouvernement canadien sur les réseaux sociaux et tenter d'une manière ou d'une autre de bénéficier du même traitement préférentiel pour elles-mêmes», a-t-elle déclaré.

«Cela ouvre un peu une boîte de Pandore et ces personnes vont à juste titre se dire : "Eh bien, ça a fonctionné pour elle, pourquoi ça ne marche pas pour moi ?"»

Le gouvernement fédéral dit constamment que la réinstallation des réfugiés prend du temps, mais des cas comme celui-ci montrent qu'il peut s'agir d'une volonté politique, a-t-elle soutenu.

Le ministre canadien de l'Immigration, Ahmed Hussen, a reconnu lundi que le cas de Rahaf Mohammed Alqunun était inhabituel.

«La plupart des cas prennent bien sûr beaucoup de temps à être traités, mais il existe des cas exceptionnels dans lesquels le HCR demande au Canada de protéger de manière urgente les femmes en particulier [...] qui se retrouvent dans une situation très grave et dangereuse et qui ont besoin d'une protection urgente», a indiqué le ministre.

Des gestes en réaction de l'Arabie saoudite ?

Craig Damian Smith, un directeur adjoint du Laboratoire de migration mondiale de l'École des affaires internationales et des politiques publiques Munk de l'Université de Toronto, a affirmé que l'affaire Alqunun avait sans aucun doute attiré l'attention sur les conditions dans lesquelles de nombreuses femmes se trouvent dans des pays tels que l'Arabie saoudite, mais qu'elle ne contribuerait probablement pas à améliorer leur situation.

«Cela pourrait également signifier une répression sur leur capacité à voyager», a-t-il indiqué. «C'est quelque chose que vous voyez avec les pays oppressifs en général depuis la guerre froide jusqu'à aujourd'hui - qui ne veulent pas donner à leurs ennemis idéologiques des victoires spectaculaires.»

Mme Aiken, experte en droit de l'immigration à l'Université Queen's, a dit croire que le Canada pourrait également faire beaucoup mieux en ce qui concerne la réinstallation des réfugiés, notant que le pays reste ferme sur sa décision de bloquer les futurs réfugiés d'autres pays en provenance des États-Unis.

«Nous avons offert la protection à une réfugiée, mais des milliers de réfugiés potentiels - originaires de pays tiers - tentent actuellement de fuir les États-Unis et nous ne leur offrons pas la possibilité de demander l'asile au Canada», a-t-elle fait valoir.

«Il est important de comprendre que parmi la population migrante qui cherche à entrer au Canada, il y a des femmes comme Rahaf Mohammed que nous n'acceptons pas.»