Le budget annuel lié au fonctionnement du Sénat a bondi de près de 31,4 millions de dollars depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau, passant de 82,7 millions en 2015-2016 à 114 millions de dollars en 2019-2020, une hausse jugée «injustifiée» selon le sénateur Claude Carignan.

Cette hausse de près de 38% est en partie attribuable à l'embauche de 121 nouveaux employés qui sont affectés au soutien administratif de la Chambre haute, démontrent des documents du Bureau de régie interne du Sénat obtenus par La Presse.

Ainsi, l'administration du Sénat comptera 446 employés à temps plein en 2019-2020 contre 325 employés en 2015-2016, soit une hausse de 37%, selon ces mêmes documents.

Nouvelle formule de nomination

L'augmentation des coûts s'explique aussi par l'octroi de budgets de recherche et de fonctionnement alloués aux divers groupes de sénateurs qui se sont formés au cours des trois dernières années et demie, dont le Groupe de sénateurs indépendants, soit depuis que Justin Trudeau a décidé, quelques mois avant sa victoire électorale de 2015, d'expulser les sénateurs du caucus parlementaire libéral.

La hausse coïncide enfin avec la nouvelle formule de nomination des sénateurs indépendants instaurée par le premier ministre. Depuis qu'il est au pouvoir, M. Trudeau a nommé près de la moitié des sénateurs qui siègent à la Chambre haute, soit 49 sur 105. Il a ainsi pourvu les 22 postes qui avaient été laissés vacants par l'ancien premier ministre Stephen Harper, en plus de nommer de nouveaux sénateurs à la suite du départ à la retraite de ceux qui ont atteint l'âge obligatoire de la retraite de 75 ans au cours des trois dernières années.

Avant ces changements, le Sénat comptait seulement des sénateurs du Parti conservateur et du Parti libéral. Aujourd'hui, le Sénat compte quatre groupes : 54 membres du Groupe de sénateurs indépendants; 31 sénateurs conservateurs; 11 sénateurs non affiliés; et 9 sénateurs libéraux indépendants.

Des hausses injustifiées, selon le sénateur Carignan

Dans une entrevue à La Presse, le sénateur conservateur Claude Carignan, qui était leader du gouvernement au Sénat de 2013 à 2015, alors que Stephen Harper était premier ministre, s'élève contre la hausse du budget lié au fonctionnement au Sénat et a même voté contre son adoption durant une rencontre du Bureau de régie interne, au début de décembre.

«Il n'y a rien qui justifie une telle augmentation des dépenses au Sénat», a tranché, sur un ton sans appel, le sénateur Carignan dans une entrevue à La Presse.

«Quand nous étions au pouvoir, nous avions mené un exercice de révision des dépenses qui devait obligatoirement mener à une hausse de 0% du budget de fonctionnement de l'ensemble du Sénat. Nous avions fixé le budget à environ 88,7 millions de dollars en 2015-2016. Mais depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau - et surtout la prise de contrôle du Sénat par les sénateurs indépendants -, le budget a explosé et il est rendu à 114 millions», a affirmé M. Carignan, faisant allusion au resserrement des cordons de la bourse au Sénat après le scandale des dépenses qui a éclaboussé certains sénateurs, dont Mike Duffy et Pamela Wallin.

Fait à noter, le budget de 88,7 millions de dollars de 2015-2016 évoqué par M. Carignan incluait une somme de 6 millions pour payer les salaires et les avantages sociaux des 83 agents responsables de la sécurité au Sénat - des employés et une somme qui ont été transférés la même année au Service de protection parlementaire.

«Ils dépensent comme le gouvernement Trudeau»

Selon le sénateur Carignan, le gouvernement Trudeau, qui accumule les déficits plus élevés que promis durant la dernière campagne électorale et qui ne prévoit aucun retour à l'équilibre budgétaire à court terme, alors que l'économie tourne à plein régime, a instauré une culture de dépenses dans toutes les sphères de l'État fédéral, y compris au Sénat.

«Je crois que c'est une question d'attitude, de mentalité. C'est toujours facile de justifier un poste et des dépenses, surtout quand le message qui vient d'en haut, du bureau du premier ministre, c'est que ce n'est pas grave, les déficits», a tonné M. Carignan.

Citant l'ancien ministre péquiste et ex-maire de Lévis, le regretté Jean Garon, le sénateur conservateur a ajouté : «Je me souviens qu'il avait dit lorsqu'il était maire : "Mets un fonctionnaire dans un bureau à ne rien faire, et dans un an il va dire qu'il a besoin d'un adjoint." On dirait que cette mentalité est en train de s'incruster au Sénat. Dans le nouveau Sénat de Justin Trudeau, les sénateurs se disent indépendants, mais ils votent tous pour les mesures du gouvernement. Mais il y a pire encore : ils dépensent comme le gouvernement Trudeau.»

Des postes de sénateurs comblés

À la direction des communications du Sénat, on soutient que la hausse des dépenses tient compte notamment de la nomination de 22 sénateurs afin de pourvoir les sièges qui avaient été laissés vacants par l'ancien premier ministre Stephen Harper durant les deux dernières années avant sa défaite électorale.

«Cela explique l'augmentation du budget», a-t-on fait valoir hier, soulignant que le budget de 2019-2020 est des projections.

Mais le sénateur Carignan conteste cette explication. «Quand on préparait le budget du Sénat, on le faisait en fonction d'un Sénat comptant au moins 100 sénateurs, même s'il y avait des sièges vacants. Il fallait le faire, car le premier ministre pouvait nommer de nouveaux sénateurs à tout moment», a-t-il expliqué.

Salaires

Des documents du Bureau de la régie interne du Sénat lui donnent raison. Par exemple, si 42,2 millions de dollars avaient été prévus uniquement pour les salaires des sénateurs et des employés de leurs bureaux sur un budget de 82,7 millions, en 2015-2015, dernière année du règne conservateur, les dépenses réelles avaient été de 33,3 millions à cet égard. Maintenant que tous les postes de sénateur ont été pourvus, la somme couvrant les salaires des sénateurs et des employés de leurs bureaux devrait atteindre 56 millions en 2019-2020 sur un budget totalisant 114 millions.

Mais une autre source au Sénat a fait valoir que deux sénateurs conservateurs ont voté en faveur de l'augmentation du budget durant l'étude en comité, dont la sénatrice conservatrice Elizabeth Marshall.

Une source libérale a soutenu que le Sénat fonctionne beaucoup mieux aujourd'hui depuis la réforme des nominations, affirmant que les sénateurs indépendants travaillent à améliorer les projets de loi au lieu d'exécuter les ordres du bureau du premier ministre, comme c'était le cas durant le règne de Stephen Harper.

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau n'a pas voulu faire de commentaire au sujet des coûts de fonctionnement du Sénat.

Le Sénat en chiffres

Nombre de sénateurs : 105

Budget annuel en 2015-2016 : 82,7 millions

Budget annuel en 2019-2020 : 114 millions