Cinq mois après l'annonce de sa démission, le député libéral fédéral Nicola Di Iorio fait volte-face et décide de demeurer aux Communes, même s'il est devenu entre-temps associé au sein d'un grand cabinet d'avocats montréalais. Un double emploi qui suscite certaines questions éthiques.

Le changement de cap du député de Saint-Léonard-Saint-Michel est tel qu'il entend désormais solliciter un deuxième mandat en vue des élections fédérales d'octobre 2019, a-t-il confirmé à La Presse. Ce revirement a causé la surprise hier dans les couloirs du parlement à Ottawa, où peu de gens avaient entendu parler de sa décision.

M. Di Iorio a fait valoir que les circonstances personnelles qui l'avaient poussé à annoncer sa démission n'avaient pas changé, mais que les citoyens de sa circonscription l'avaient convaincu de demeurer en poste. «Les gens, face à ça, me disaient : "Tu ne peux pas t'en aller! Tu ne peux pas t'en aller! Laisse-nous pas!"», a-t-il relaté en entrevue téléphonique. «Mes électeurs m'ont vivement exprimé leur appréciation, vivement exprimé leur chagrin.»

Discours d'adieu

Le député a annoncé sa démission en avril sans en préciser la date. Deux mois plus tard, en juin, il prononçait un discours d'adieu aux Communes, toujours sans confirmer le moment de son départ. Fin août, le cabinet BCF a annoncé qu'il en devenait un associé. La semaine dernière, enfin, l'hebdomadaire local Le Progrès Saint-Léonard a relayé sa décision finale : il demeurera finalement député jusqu'à la fin de son mandat.

Pendant cette période de flottement de plusieurs mois, les successeurs potentiels ont pris place sur la ligne de départ libérale. «Je ne dis pas que ça me fâche, je ne dis pas que ça me fait plaisir», a commenté l'un d'eux, l'imam Hassan Guillet. Le Parti conservateur du Canada avait pour sa part déjà annoncé son candidat à la fin juillet - l'avocat Ilario Maiolo - en vue de l'élection partielle qui se dessinait.

Le président du caucus libéral du Québec, Rémi Massé, a indiqué qu'il est «derrière Nicola» et «respecte sa décision».

Avocat depuis 35 ans

Nicola Di Iorio était déjà associé au sein d'un autre cabinet d'avocats, Langlois, au moment de son élection. Il est demeuré en poste jusqu'à son passage chez BCF.

«Je n'ai jamais cessé de pratiquer le droit depuis 35 ans et mon élection n'a rien changé au fait que j'ai continué, comme mes collègues qui ont des fermes ou mes collègues qui ont des commerces ou mes collègues qui ont d'autres professions.»

La légalité de la situation ne fait pas de doute. Mais du point de vue éthique, ce double emploi pose deux problèmes, selon le professeur Luc Bégin, de l'Institut d'éthique appliquée de l'Université Laval : la gestion du temps et la gestion des conflits d'intérêts potentiels.

Sur le premier enjeu, l'éthicien estime qu'un député peut conserver des tâches professionnelles légères, mais pas une fonction lourde comme celle d'associé dans un grand cabinet d'avocats. Sur le second enjeu, M. Bégin a souligné que le risque de conflits d'intérêts était plus élevé dans le monde juridique que, par exemple, dans le monde médical.

«La décence commanderait qu'il suspende son implication avec le bureau le temps de son mandat, a-t-il conclu. Je pense qu'il y a une forme d'incompatibilité des fonctions.»

M. Di Iorio n'a pas voulu évaluer le nombre d'heures qu'il consacre chaque semaine à BCF, se limitant à parler d'«un nombre d'heures résiduel». «Mes journées, ce sont des journées qui sont extrêmement longues et je ne m'en plains pas, a-t-il continué. Je me suis toujours réveillé tôt, je me suis toujours couché tard. J'ai assez de sommeil en moi pour faire mes journées, faire mes semaines.»

Double emploi permis

Si elles sont proscrites pour les ministres et les secrétaires parlementaires, les activités professionnelles extérieures sont permises aux députés fédéraux en vertu des Règlements de la Chambre des communes. En gros, le double emploi est autorisé tant que les députés ne tentent pas d'utiliser leur fonction d'élu pour faire progresser leurs intérêts personnels ou ceux de leurs proches.

Une compilation réalisée par le Toronto Star en avril dernier a révélé que 152 des 338 députés fédéraux avaient déclaré des sources de revenus additionnelles depuis l'élection des libéraux de Justin Trudeau en 2015. Ces revenus provenaient dans la plupart des cas de propriétés locatives, de fermes, d'investissements ou de rentes provenant de carrières précédentes.

Seuls 12 députés fédéraux ont déclaré des revenus d'emploi ou d'entreprises tirés de sources privées dans leurs déclarations au Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique, selon la compilation du Star. Parmi eux, on trouve Nicola Di Iorio, le bloquiste Rhéal Fortin, lui aussi avocat, ou encore la conservatrice Kellie Leitch, qui a pratiqué comme chirurgienne pédiatrique.

Duff Conacher, cofondateur de l'organisme Democracy Watch et professeur à temps partiel à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, juge cette situation difficilement justifiable. «Les députés ne peuvent pas diviser leur loyauté, a-t-il avancé. Ils comptent parmi le top 5% des plus hauts salariés au pays, et ils devraient pour cette raison être complètement dévoués à leur emploi et à l'intérêt public.»

Rayes surpris

Le député conservateur Alain Rayes s'est montré surpris de la volte-face de Nicola Di Iorio, d'autant plus qu'elle survient un mois à peine après sa nomination comme associé chez BCF, un cabinet qui emploie 220 professionnels.

«J'ai de la misère à m'imaginer que je pourrais faire un autre emploi en même temps que celui de député. S'il y en a qui réussissent, j'aimerais bien connaître leur recette. Leurs citoyens jugeront s'ils sont capables de livrer la marchandise», affirme M. Rayes

Il a dit vouloir «laisser la chance au coureur» à Nicola Di Iorio, un parlementaire généralement très apprécié de ses collègues à Ottawa.

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau a déclaré qu'à la suite de «l'annonce du départ de M. Di Iorio pour des raisons personnelles et familiales au printemps dernier, il a été convenu qu'il resterait afin d'assurer la transition dans sa circonscription et travailler sur certains mandats spécifiques en lien avec ses intérêts et son expertise».

Le député de Saint-Léonard-Saint-Michel s'est fait connaître avec une croisade contre la conduite avec les facultés affaiblies. Il s'est par ailleurs illustré en droit en recevant l'an dernier la distinction Avocat émérite du Barreau du Québec.