La ministre fédérale Karina Gould a défrayé la chronique cette semaine en allaitant sous l'oeil des caméras durant la période de questions. Elle n'est pas nécessairement la première élue à ainsi nourrir son bébé à la Chambre des communes, mais le geste illustre le chemin que continuent à parcourir les femmes au Canada et ailleurs dans le monde politique.

La vague orange avait emmené plusieurs jeunes députées du Québec à Ottawa et certaines, comme Christine Moore, Rosane Doré Lefebvre ou Sana Hassainia, ont eu des enfants dans les années qui ont suivi. Il est arrivé que certaines allaitent sur les banquettes de l'opposition lors de votes importants, mais les caméras, il faut le dire, n'étaient pas braquées sur elles.

Sur les images de la période de questions de mardi, on peut voir la ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, en train de donner le sein à son bébé de 3 mois tandis que sa collègue de la Santé répond à une question des conservateurs. « Il n'y a aucune gêne à allaiter ! a-t-elle lancé sur Twitter. Le bébé doit manger et j'avais des votes. »

En mars, Mme Gould était devenue la première femme ministre au Canada à prendre un congé de maternité à la naissance de son fils Oliver. Elle est vraisemblablement la première femme ministre à allaiter à la Chambre des communes.

RÉALITÉ EN CROISSANCE

Cette tétée remarquée survient alors que les femmes prennent de plus en plus leur place dans la vie politique et, le cas échéant, leur nouveau-né également.

En Nouvelle-Zélande, la première ministre Jacinda Ardern a accouché de son premier enfant hier, devenant la deuxième dirigeante à ainsi donner naissance durant son mandat, après Benazir Bhutto au Pakistan dans les années 90.

Des pays comme l'Australie, l'Islande ou l'Argentine ont tous eu des histoires à raconter ces dernières années sur des politiciennes qui allaitent durant les délibérations ou les votes d'une assemblée législative.

Pourtant, il n'y a pas si longtemps, une telle idée aurait frôlé l'hérésie dans un univers réservé aux hommes.

Ce n'est qu'il y a 30 ans, en 1987, que l'ancienne ministre libérale Sheila Copps est devenue la première élue au Canada à avoir un enfant pendant son mandat.

« Je n'ai jamais emmené ma fille à la Chambre des communes, les bébés n'avaient pas le droit d'y entrer. Je sortais dans l'antichambre. Mais je pouvais la nourrir dans les comités. » - L'ancienne ministre Sheila Copps

Michelle Dockrill, une députée néo-démocrate à la fin des années 90, avait confié au Globe and Mail qu'elle avait convaincu les gestionnaires du parlement d'aménager des tables à langer dans les toilettes.

« C'est plus difficile pour les députées d'avoir un enfant, parce que les ministres ont un bureau, des adjoints... Alors que les députées voyagent seules » dans des trajets parfois longs entre leur circonscription et la capitale, précise Mme Copps.

ROUTE PARSEMÉE D'EMBÛCHES

La route, évidemment, est parsemée d'embûches. En 2012, un jeune page de la Chambre des communes avait demandé à la députée néo-démocrate Sana Hassainia de quitter l'enceinte où elle s'était présentée avec son bébé pour un vote, mais l'institution avait affirmé qu'il s'agissait d'un malentendu après qu'une controverse eut éclaté.

Au Royaume-Uni, les députés n'ont toujours pas le droit d'allaiter à la Chambre des communes depuis une décision de 2000 qui assimilait le geste au fait de manger dans l'enceinte - ce qui est interdit. En 2015, un député a traité ses collègues qui allaitaient dans l'antichambre d'« exhibitionnistes ».

Mais comme à Ottawa ou ailleurs, de plus en plus de bébés sont aperçus au conseil de ville de Montréal ou dans les corridors de l'Assemblée nationale et le phénomène ira certainement en grandissant, tandis que les partis cherchent à attirer toujours plus de femmes dans leurs rangs.

Sheila Copps se réjouit de ces avancées, mais elle souligne qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire - et pas juste en politique. « Souvent, les députés peuvent organiser leur horaire, mais ce n'est pas toujours le cas pour des femmes de ménage, par exemple, ou des avocates qui travaillent sur Bay Street... »

« On a une certaine flexibilité qui n'est pas disponible pour les gens ordinaires. »