Les Canadiens pourront consommer du cannabis à des fins récréatives en toute légalité vraisemblablement à compter de septembre. Le Sénat a décidé mardi soir de ne pas se lancer dans une longue confrontation avec le gouvernement Trudeau même si ce dernier a rejeté les amendements au projet de loi C-45 qui légalise cette drogue que plusieurs sénateurs jugeaient essentiels.

Au terme d'un débat de quelques heures, les sénateurs se sont donc majoritairement inclinés devant la volonté de la Chambre des communes par un vote de 52 à 29. Deux sénateurs se sont abstenus. Au préalable, toutefois, plusieurs sénateurs ont dénoncé le refus des libéraux de Justin Trudeau de permettre aux provinces de prohiber la culture du cannabis à domicile, comme le réclamaient le Québec et le Manitoba et comme le proposait aussi le Sénat dans un amendement rapidement écarté par le gouvernement.

La loi fédérale, qui devrait entrer en vigueur au plus tard 12 semaines après la sanction royale, permet à une personne de cultiver jusqu'à quatre plants de cannabis à son domicile tandis que celle adoptée par l'Assemblée nationale il y a deux semaines interdit toute culture à a domicile.

Alors que le gouvernement du Québec avait de nouveau plaidé la semaine dernière pour qu'Ottawa accepte ce changement, d'aucuns s'attendent à ce que l'on assiste éventuellement à une bataille judiciaire qui pourrait se rendre jusqu'à la Cour suprême du Canada, à moins du désistement de l'une des deux parties, puisque les résidants du Québec seront soumis à deux lois dont la portée est contradictoire sur leur territoire.

« Bien que maintenant convaincue du bien-fondé de la légalisation du cannabis, j'aurais espéré qu'elle se fasse dans le respect de l'opinion de toutes les parties prenantes. Je constate un manque d'ouverture et de souplesse de la part du gouvernement fédéral et je crois que le Sénat a le devoir de ne pas contrecarrer la volonté d'un gouvernement démocratiquement élu. (...) Ultimement, le gouvernement est responsable de ses choix et ce sera à la population d'en juger au moment opportun », a déclaré la sénatrice Raymonde Saint-Germain avant le vote à la Chambre haute.

Durant le débat, le sénateur conservateur Claude Carignan a tenté, une dernière fois, de convaincre ses collègues d'adopter un amendement qui aurait eu pour effet de confirmer aux provinces le pouvoir d'interdire la culture à domicile. Mais son amendement a été défait par un vote de 45 à 35 tandis qu'un sénateur s'abstenait de voter.

Dans son discours devant ses pairs, M. Carignan a en profité pour dénoncer la décision du gouvernement Trudeau de rejeter un autre amendement du Sénat qu'il avait parrainé et qui aurait rendu obligatoire la divulgation d'informations sur les propriétaires des compagnies de production de cannabis, leurs dirigeants et leurs investisseurs, afin de s'assurer que le crime organisé n'utilise pas des paradis fiscaux pour blanchir de l'argent dans la production d'une drogue sur le point d'être légalisée au Canada.

« À ma très grande surprise, notre amendement sur les paradis fiscaux a été rejeté par le gouvernement. Dois-je en conclure que le premier ministre Trudeau cautionne l'utilisation des paradis fiscaux pour investir dans les compagnies productrices de cannabis ? C'est drôlement préoccupant. En tout, 35 des 86 producteurs autorisés par Santé Canada, soit 40 % d'entre eux, ont profité d'un financement « offshore » au cours des deux dernières années », a déclaré le sénateur Carignan, cinglant.

Profitant de leur victoire sans appel lors de l'élection partielle de lundi dans Chicoutimi-Le Fjord, le Parti conservateur a accusé le gouvernement Trudeau durant la période de questions de faire fi des compétences des provinces.

« Saluons la belle victoire de notre nouveau confrère Richard Martel qui va nous rejoindre ici très bientôt. Un dossier dont on a beaucoup entendu parler dans la circonscription de Chicoutimi-Le Fjord tout au long de la partielle, c'est le dossier de la légalisation de la marijuana. À cause de l'entêtement du gouvernement libéral et de son premier ministre qui ne respecte pas les champs de compétence des provinces, on se dirige directement dans un bras de fer judiciaire. La question qu'on se pose tous sur ce dossier qui va devoir être payé par les Canadiens est: qu'est-ce qui fait que ce premier ministre ne souhaite pas respecter les compétences des provinces », a lancé le député conservateur Alain Rayes.

Le chef du Parti conservateur Andrew Scheer a renchéri : « Les conservateurs vont toujours respecter les compétences des provinces. En ce moment, le Québec et d'autres provinces veulent interdire à leurs citoyens de faire pousser de la marijuana à domicile. Pourquoi le premier ministre refuse-t-il d'écouter cette demande du Québec? »

En l'absence du premier ministre Justin Trudeau, la ministre de la Santé Ginette Petitpas Taylor a répété à plusieurs reprises la même réponse. « Protéger la santé et la sécurité des Canadiens est notre priorité absolue. Nous pensons que la culture à domicile contribuera à déplacer le marché illégal. Nous sommes confiants que les Canadiens et les Canadiennes pourront protéger leurs plants et les produits du cannabis de la même manière qu'ils conservent, en toute sécurité, de façon responsable, les médicaments d'ordonnance ainsi que l'alcool à la maison. Nous suivons également l'avis du groupe de travail et l'approche adoptée par d'autres juridictions qui ont adopté des projets de loi à propos du cannabis ».