Après plusieurs semaines d'étude, le Sénat a demandé hier au gouvernement Trudeau de refaire ses devoirs en ce qui a trait au projet de loi C-45 visant à légaliser la marijuana à des fins récréatives.

Entre autres choses, les sénateurs estiment que le gouvernement fédéral doit permettre aux provinces de prohiber la culture de la marijuana à domicile sur leur territoire si elles le souhaitent, comme le réclament d'ailleurs le Québec et le Manitoba - un changement qu'a toutefois déjà écarté d'un revers de main le premier ministre Justin Trudeau récemment.

Par un vote de 56 à 30 et une abstention, les sénateurs ont donc adopté tard hier soir en troisième lecture le projet de loi C-45, mais en y apportant une kyrielle d'amendements - 46 en tout -, un record depuis l'arrivée des libéraux au pouvoir en 2015.

Si certains de ces amendements sont mineurs en ce qu'ils ajoutent un vocable ou en biffent un autre, une quinzaine d'entre eux sont plus costauds. Le gouvernement Trudeau entend prendre quelques jours pour les évaluer et il devrait annoncer ses couleurs au début de la semaine prochaine, ouvrant ainsi la porte à une petite partie de ping-pong législatif entre la Chambre des communes et le Sénat.

SUR LA PRODUCTION À DOMICILE

« C'est une soirée historique », a tout de même lancé hier le sénateur indépendant de l'Ontario Tony Dean, qui a parrainé le projet de loi au nom du gouvernement Trudeau à la Chambre haute. M. Dean a dit juger essentiel l'amendement accordant aux provinces le pouvoir de prohiber la production à domicile sur leur territoire.

« Ça, pour nous, c'est fondamental et c'est certainement un amendement pour lequel nous serions prêts à discuter encore longtemps. Et l'été, pour nous, ne serait pas un obstacle », a averti la sénatrice indépendante Raymonde St-Germain, qui représente le groupe de sénateurs indépendants.

« Le gouvernement doit y porter attention. [...] Je pense que c'est ce que la population des provinces concernées attend, c'est ce que les gouvernements provinciaux attendent. » - André Pratte, sénateur indépendant

Hier, la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, a refusé de lever le voile sur les intentions du gouvernement Trudeau quant à la réception qu'il entend réserver aux amendements des sénateurs.

« Nous allons finalement évaluer tous les amendements attentivement au cours de la fin de semaine. [...] Au début de la semaine prochaine, nous serons prêts à [...] donner plus d'informations à propos de ce qu'on va accepter comme amendements », a-t-elle dit à son arrivée aux Communes, hier après-midi.

POUR CONTRER LE CRIME ORGANISÉ

L'autre amendement important adopté par les sénateurs, proposé par le sénateur conservateur Claude Carignan, rendrait obligatoire la divulgation d'informations sur les propriétaires des entreprises de production de cannabis, leurs dirigeants et leurs investisseurs, afin de s'assurer que le crime organisé n'utilise pas des paradis fiscaux pour blanchir son argent dans la production d'une drogue sur le point d'être légalisée au Canada.

Dans un discours qu'il a prononcé au Sénat cette semaine, M. Carignan a souligné que le crime organisé cherchait à s'adapter en prévision de la légalisation de la marijuana, soit en réduisant les prix de ses produits sur le marché noir ou en cherchant à intégrer le marché légal en investissant des sommes générées par ses activités illicites.

« De récentes données dévoilées il y a quelques mois ont de quoi nous faire sourciller. En effet, nous avons appris que plus de la moitié du cannabis que la Société des alcools du Québec projette d'acheter provient d'entreprises financées par les paradis fiscaux. [...] De riches investisseurs anonymes des paradis fiscaux ont misé au moins 165 millions de dollars dans des producteurs de pot autorisés au Canada », a déclaré M. Carignan.

« En tout, 35 des 86 producteurs autorisés par Santé Canada, soit 40 % d'entre eux, ont bénéficié d'un financement offshore au cours des deux dernières années. » - Claude Carignan, sénateur conservateur

Le sénateur a ajouté que si le gouvernement Trudeau voulait contrer les activités du crime organisé, il devait impérativement « l'empêcher d'intégrer le marché légal du cannabis sous l'anonymat des paradis fiscaux ».

TROIS NOUVEAUX SÉNATEURS

En prévision du vote d'hier soir, le premier ministre Trudeau a nommé au cours des derniers jours trois nouveaux sénateurs indépendants : l'ancien juge Pierre Dalphond, du Québec, une ancienne dirigeante d'une firme de sondage, Donna Dasko, de l'Ontario, et un médecin de famille de Terre-Neuve-et-Labrador, Mohamed-Iqbal Ravalia.

Par ailleurs, le gouvernement Trudeau a déjà indiqué que la loi légalisant la consommation du cannabis à des fins récréatives entrerait en vigueur de 8 à 12 semaines après son adoption par le Parlement afin de donner le temps nécessaire aux provinces pour se préparer. Au plus tôt, donc, la nouvelle loi pourrait entrer en vigueur au début de septembre.

- Avec La Presse canadienne