Le cri du conservateur pour qui l'avortement «n'est pas un droit» a continué à faire des vagues à Ottawa. Alors que des conservateurs rabrouaient Ted Falk en cherchant à minimiser la portée des voix antiavortement au sein du caucus, les libéraux faisaient leurs choux gras de l'affaire.

Mercredi, le lieutenant politique du Parti conservateur au Québec, Alain Rayes, avait refusé de commenter le cri de son collègue, disant ne pas l'avoir entendu. Jeudi matin, en entrevue à La Presse canadienne, il l'a qualifié de «malheureux».

«Ce qui a été dit par le député, pour moi, est inacceptable à l'intérieur de la Chambre des communes», a-t-il tranché. Il a cependant tenu à spécifier que chacun a droit à son opinion et a la liberté de l'exprimer.

Mais sur le fond, il est en désaccord complet avec Ted Falk. «C'est un droit, oui, tout à fait ! Moi, je suis en faveur à 100 %, pour le libre choix des femmes», a insisté le député de Richmond-Arthabaska.

Des élus québécois comme Gérard Deltell et Sylvie Boucher ont aussi regretté les propos de Ted Falk. Quelques-uns de leurs collègues de la mouvance antiavortement du caucus ont fui les micros ou esquivé la question.

«La Charte protège notre droit de discuter de ces enjeux, et c'est ce que M. Falk a fait», a offert le député Ed Fast, qui a un bilan parfait sur le site de la Campaign Life Coalition, qui recense les votes des élus sur les questions entourant l'avortement.

Le député manitobain Ted Falk a causé une commotion à la période des questions, mercredi, en criant «ce n'est pas un droit» alors que Justin Trudeau venait de terminer une réponse en disant que son gouvernement défendrait toujours le droit des femmes à l'avortement.

Et jeudi, les libéraux étaient prêts à le claironner de différentes façons.

On a d'abord eu droit à une déclaration d'une députée libérale à ce sujet avant la période des questions. Puis, lorsque la séance s'est mise en branle, la ministre de l'Environnement, Catherine McKenna, a répondu aux questions d'ouverture de l'opposition en revenant sur l'incident.

«Est-ce que le chef de l'opposition dénoncera les commentaires de son (député) et appuiera le droit (à l'avortement) ?» a-t-elle répliqué à deux questions consécutives qui portaient sur le projet de loi C-46, qui concerne la conduite avec facultés affaiblies.

À peu près au même moment, le Parti libéral du Canada envoyait aux abonnés de sa liste de distribution un courriel de financement en utilisant le cri de Ted Falk comme «dernier exemple en date» qui montre «que les conservateurs ne soutiennent pas les droits des femmes».

La leader du gouvernement en Chambre, Bardish Chagger, s'est défendue d'exploiter l'enjeu pour marquer des points politiques.

«Entendre un commentaire comme celui-ci en Chambre, entendre un député dire que ce n'est pas un droit est très décevant, et il est important de demander des comptes aux députés», a-t-elle justifié en mêlée de presse.

Pour Alain Rayes, il est clair que les libéraux tentent de «politiser» le geste «malheureux» de mercredi. Mais «penser qu'il y a juste dans le Parti conservateur qu'il y a des gens qui sont contre l'avortement, c'est hypocrite», a-t-il lâché.

Il insiste sur le fait que le caucus conservateur «ne parle pas» de cet enjeu - et selon son estimation, il y a «un, deux, trois députés à l'intérieur de notre caucus» qui sont opposés à l'avortement.

Ils sont toutefois plus nombreux que cela au sein de la députation conservatrice. Ils étaient d'ailleurs neuf députés et deux sénateurs conservateurs à participer au rassemblement annuel des militants antiavortement sur la colline du Parlement, jeudi.

Le chef conservateur Andrew Scheer est lui-même est opposé à l'avortement. L'année dernière, pendant sa campagne à la direction, il avait délégué à cet événement des députés qui l'appuyaient afin qu'ils le présentent comme «un des trois candidats pro-vie».

Réprimande ?

Au Parti conservateur, on a refusé de dire si Ted Falk avait été réprimandé ou s'il s'exposait à une sanction disciplinaire quelconque, jeudi. Le bureau du whip de l'opposition officielle, Mark Strahl, a transféré le dossier au bureau du chef, Andrew Scheer.

Le chef de l'opposition n'a pas précisé ce qu'il comptait faire avec son député. «Comme cela a toujours été le cas, un gouvernement conservateur respectera les décisions judiciaires antérieures sur ce sujet», a-t-il déclaré.

«J'ai dit à maintes reprises que nous ne présenterons pas de projet de loi sur cette question controversée et que nous nous concentrerons plutôt sur la promotion de politiques qui unissent tous les Canadiens», a ajouté M. Scheer dans un courriel transmis par son bureau.

Chez les libéraux, la ministre Mélanie Joly n'a pas voulu dire si le chef devrait taper sur les doigts de l'élu. «Je n'ai aucune envie de me mettre dans les souliers d'Andrew Scheer présentement, parce que ce n'est vraiment pas une position qui est agréable», a-t-elle lâché.

Selon le député néo-démocrate Nathan Cullen, l'élu conservateur au coeur de cette affaire devrait faire acte de contrition.

«Les gens peuvent crier un tas de choses stupides en Chambre, je l'ai constaté plus d'une fois. Je pense que la bonne chose à faire serait de s'excuser. Crier des choses comme celle-ci fait reculer les droits des femmes, et on n'a pas besoin de ça en 2018», a-t-il souligné.