Dans une décision qui a pris de court l'industrie du cannabis, la Maison-Blanche a abrogé hier une politique de l'ère Obama qui permettait aux producteurs de marijuana de contourner les lois fédérales pour brasser des affaires.

Qualifiée de «chaotique», la nouvelle ligne directrice du gouvernement Trump pourrait favoriser l'industrie canadienne du pot, croient des experts. Explications en quatre temps.

Le pot aux États-Unis : légal... mais illégal

Même si 29 États américains ont jusqu'à maintenant officiellement légalisé la consommation de cannabis à des fins médicales ou récréatives, la loi fédérale américaine continue de l'interdire, sous peine de poursuites criminelles. Depuis 2013, un mémorandum publié par le Bureau du procureur général des États-Unis assurait cependant aux producteurs et aux consommateurs une certaine impunité, pourvu qu'ils s'abstiennent de rendre la marijuana accessible à des mineurs ou d'en détourner les profits à la faveur de groupes criminels.

Hier, le procureur général Jeff Sessions, nommé par Donald Trump, a abrogé cette politique de l'ère Obama, affirmant dans un nouveau mémorandum que «la marijuana [était] une drogue dangereuse et que [la cultiver, la consommer ou la distribuer était] un crime sérieux». Il reviendra donc aux procureurs de district, élus par le peuple, de décider s'ils poursuivent ou non les personnes surprises à produire ou consommer de la marijuana.

Coup dur pour l'industrie américaine

L'intention de la Maison-Blanche avec cette nouvelle politique reste imprécise, mais des spécialistes croient qu'elle vise à ralentir la croissance rapide de l'industrie du cannabis sur le sol américain. «Cette décision va surtout toucher la capacité des producteurs de financer leurs activités. Ce sera beaucoup plus difficile pour eux de convaincre les gens d'investir dans l'industrie du cannabis», estime Kevin Sabet, président du groupe de pression Smart Approaches to Marijuana, opposé à la légalisation.

En raison de l'interdiction fédérale qui a cours aux États-Unis, aucune banque n'a le droit de prêter de l'argent aux entreprises du secteur, et certaines institutions financières hésitent même à leur fournir des services bancaires de base.

«La nouvelle politique de Jeff Sessions crée beaucoup de confusion et d'incertitude, surtout pour les entreprises et les gens d'affaires, qui ne savent pas sur quel pied danser. Je ne pense pas que ça va stopper l'industrie, mais cela risque de la ralentir considérablement», indique Peter Murphy, avocat américain spécialisé dans les questions réglementaires liées au cannabis au cabinet Eckert Seamans.

Une décision favorable à l'industrie canadienne

Alors que les investissements dans l'industrie du cannabis restent difficiles aux États-Unis, c'est tout le contraire qui se produit au Canada. Une quinzaine de producteurs autorisés par Santé Canada sont désormais légalement inscrits en Bourse à Toronto, où ils ont récolté depuis deux ans plus de 15 milliards de dollars en capitalisation boursière.

«La situation chaotique que vient d'imposer Jeff Sessions aux États-Unis est assurément favorable à l'industrie canadienne du cannabis», croit Pete O'Neil, consultant à la tête d'Empire Cannabis Brands, qui développe des marques de commerce pour des investisseurs privés. «Grâce à la réglementation adoptée par Justin Trudeau, les entreprises canadiennes sont en train de devenir des acteurs majeurs à l'échelle planétaire. À terme, dans 10 ou 15 ans, le Canada sera un acteur incontournable dans le marché du cannabis», estime M. O'Neil.

L'avocat Peter Murphy pense la même chose : «L'incertitude [provoquée par le mémo de Jeff Sessions] risque de donner un avantage concurrentiel important au Canada, alors que les investisseurs américains sont incités à délaisser ce marché. Chose certaine, le marché du cannabis médical sera un marché international, et pour l'instant, les États-Unis ne sont pas bien placés pour le dominer», avance-t-il.

Pour l'heure, cependant, les entreprises canadiennes de cannabis médical inscrites en Bourse n'ont aucun accès au marché américain, puisque les règles de participation du TSX leur interdisent de s'adonner à des activités jugées illégales dans un pays étranger.

Une bataille politique en vue

Le mémorandum de Jeff Sessions ne signifie pas pour autant la mort de la légalisation du cannabis aux États-Unis. Dans la plupart des États qui ont légalisé la consommation, la modification législative s'est faite par voie référendaire.

«Il y a un énorme appui populaire pour la légalisation. Les procureurs de district qui ont pour mandat de faire appliquer la loi ont une certaine marge de manoeuvre discrétionnaire. Ils n'auront d'autre choix que de tenir compte de l'appui populaire dans leurs décisions», croit l'avocat Peter Murphy.

La nouvelle position de la Maison-Blanche pourrait aussi forcer le Congrès à se pencher plus sérieusement sur la question de la légalisation du cannabis, estime l'analyste financier Alan Brochstein, auteur du blogue spécialisé 420Investor. «L'administration Trump veut créer le chaos, mais ses gestes pourraient aussi avoir l'effet contraire. Le gouvernement fédéral, qui a été très peureux, pourrait se rendre compte que ce n'est pas normal de laisser une industrie se bâtir en se basant sur des énoncés aussi vagues que des mémos exécutifs. Le Congrès pourrait être porté à vouloir adopter une loi plus claire», croit-il.