Alors que le gouvernement Trudeau maintient le cap sur la date butoir du 1er juillet 2018 pour légaliser la marijuana au pays, Ottawa n'a toujours pas entrepris de démarches formelles aux Nations unies pour éviter de se trouver en violation de trois traités internationaux. Ces traités, dont le Canada est signataire, l'obligent à lutter contre le trafic, la consommation et la production de drogues comme le cannabis, entre autres.

Pis encore, le Canada a même manqué le délai requis d'un an pour se retirer de l'un de ces traités, selon des informations obtenues par La Presse hier. Dans le cas des deux autres traités, il doit donner un avis de six mois.

À l'heure actuelle, le Canada figure parmi plus de 185 pays signataires de trois traités des Nations unies sur les drogues - la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. Ces conventions exigent des États membres qu'ils adoptent des mesures appropriées afin de lutter contre le commerce de drogues illicites.

Mais une source gouvernementale a confirmé à La Presse hier que le cabinet n'a toujours pas décidé de la voie qu'il compte emprunter pour s'assurer que le Canada respecte ses obligations internationales découlant de ces traités alors que le projet de loi visant à légaliser la marijuana doit entrer en vigueur dans moins de 10 mois. Une décision à cet égard est attendue à l'automne, a précisé cette source, qui a requis l'anonymat afin de discuter plus librement du dossier.

Le dilemme est de taille pour le gouvernement Trudeau : comment s'assurer que le Canada ne soit pas vu comme un cancre en matière de lutte contre les drogues à l'échelle internationale alors que l'on s'apprête à légaliser le cannabis sur le territoire canadien ?

« C'est un dossier qui est fort complexe, et le cabinet n'a pas encore arrêté sa décision », a indiqué cette source gouvernementale, soulignant que des représentants du gouvernement fédéral se sont rendus au cours des dernières semaines à Vienne, en Autriche, siège de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, afin d'explorer les diverses options qui s'offrent au Canada.

Les options

Quatre options sont envisageables : le retrait pur et simple du Canada de ces trois traités ; la renégociation des traités afin de tenir compte de la réalité canadienne ; le recours au mécanisme de réserve pour indiquer aux autres signataires que le Canada légalise la marijuana, mais demeure fortement engagé dans la lutte contre les autres drogues illicites ; et finalement, ne rien faire du tout, en espérant que les autres pays signataires n'en tiendront pas rigueur au Canada.

Pour l'heure, le recours au mécanisme de réserve semble l'option qui pourrait être retenue par le gouvernement Trudeau, bien qu'aucune décision n'ait encore été prise, selon nos informations.

« Se retirer des traités pourrait envoyer un mauvais signal alors que nous demeurons fermement engagés dans la lutte contre les autres drogues illicites. Vouloir renégocier ces traités pourrait être encore plus compliqué que rouvrir la Constitution canadienne », a indiqué notre source pour illustrer la complexité de ce dossier.

Au bureau de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, qui est responsable de piloter ce dossier à l'ONU, le porte-parole Adam Austen a affirmé que le Canada souhaite travailler de concert avec ses partenaires internationaux dans ce dossier.

« Notre gouvernement utilise une approche réglementaire pour mieux protéger la santé et la sécurité des Canadiens. C'est notre priorité. Nous analysons actuellement plusieurs éléments, dont le respect de nos obligations internationales. Notons que quatre États américains ont déjà légalisé la marijuana, alors que quatre autres ont voté pour la légalisation. Nous sommes engagés à travailler avec nos partenaires internationaux en matière de promotion de la santé publique et de lutte contre le trafic de drogue. Le Canada demeure en pleine conformité avec ses obligations en vertu des traités internationaux en lien avec la drogue », a-t-il affirmé dans un courriel à La Presse.

Devant le comité de la santé de la Chambre des communes, plusieurs témoins ont multiplié les mises en garde au gouvernement Trudeau, notamment les corps policiers, qui ont affirmé qu'Ottawa doit ralentir la cadence. « Si la loi est prête à être lancée pour juillet 2018, la police ne sera pas prête au 1er août 2018. C'est impossible », a averti mardi Rick Barnum, de la Police provinciale de l'Ontario.

La Gendarmerie royale du Canada a pour sa part affirmé lundi qu'il serait « naïf » de croire que l'on pourra éliminer le crime organisé du trafic illicite du cannabis en légalisant cette drogue.

À St. Jonh's, à Terre-Neuve, où il concluait hier une réunion de deux jours de son cabinet en prévision de la rentrée parlementaire de lundi prochain, le premier ministre Justin Trudeau a affirmé que son gouvernement n'avait pas l'intention de modifier le calendrier relativement à la légalisation de la marijuana.

PHOTO Sean Kilpatrick, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères