Le gouvernement n'en a pas fait suffisamment pour protéger la vie privée des Canadiens respectueux des lois face aux nouveaux pouvoirs en matière de partage d'information inclus dans la loi antiterroriste connue sous le nom de C-51.

Le commissaire à la vie privée, Daniel Therrien, se dit surpris de constater que plusieurs agences fédérales n'ont pas étudié les effets qu'aura la loi controversée, adoptée sous le gouvernement de Stephen Harper, sur les données personnelles de la population.

Dans son rapport annuel, publié mardi, M. Therrien recommande aux agences de mener des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, qui doivent être effectuées chaque fois qu'un ministère met en place un nouveau programme ou activité ou modifie un programme existant touchant les renseignements personnels.

La Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, qui fait partie de C-51, permet plus facilement l'échange d'information entre les institutions gouvernementales fédérales au sujet des activités qui «portent atteinte à la sécurité du Canada».

L'ex-gouvernement conservateur affirmait que ces mesures étaient nécessaires parce que certaines agences fédérales n'avaient pas l'autorité juridique de partager des renseignements liés à la sécurité nationale.

Dans son rapport, M. Therrien affirme que la loi «est formulée en termes généraux et laisse beaucoup de latitude aux institutions fédérales pour interpréter et définir les »activités portant atteinte à la sécurité du Canada (...) De plus, l'ampleur éventuelle de la communication d'information en vertu de cette loi atteint des proportions sans précédent.»

Des normes juridiques pour le partage de l'information devraient permettre de s'assurer que «les Canadiens respectueux des lois, les Canadiens ordinaires qui ne devraient avoir rien à craindre des activités de surveillance de l'État, ne soient pas pris par le régime de partage des renseignements», a déclaré M. Therrien en conférence de presse.

Au cours des six mois ayant suivi l'entrée en vigueur de la loi - du 1er août 2015 au 31 janvier 2016 -, cinq institutions ont rapporté au commissaire avoir recueilli ou communiqué de l'information à 52 occasions, collectivement.

Des cinq institutions, trois s'étaient dotées d'une politique ou d'un document d'orientation, mais ceux-ci «manquent de précisions et de détails pour être vraiment utiles aux employés» lorsqu'il s'agit de déterminer si les critères prévus pour le partage d'information ont été atteints.

En plus des évaluations formelles des facteurs relatifs à la vie privée, M. Therrien juge que les institutions devraient formuler des ententes d'échange d'information renfermant les dispositions essentielles sur la protection de la vie privée et des mesures pour éviter la communication de renseignements personnels par inadvertance.

Sécurité publique Canada s'est dit d'accord avec les recommandations.

Par ailleurs, le commissaire Therrien s'inquiète du ton emprunté par l'actuel gouvernement libéral pour les consultations publiques sur la sécurité nationale. Il estime que la portée de ces consultations est «trop restreinte». Et il reproche au gouvernement de parler surtout des défis posés aux organismes d'application de la loi et de sécurité nationale et de négliger ainsi les droits démocratiques et la vie privée.

M. Therrien a aussi appelé à des amendements à la Loi sur la défense nationale pour préciser les pouvoirs de l'agence de cyberespionnage, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), de même que les protections juridiques spécifiques sur la vie privée des Canadiens.

L'organisme de surveillance du CST avait indiqué plus tôt cette année que l'agence avait enfreint la loi sur la protection de la vie privée en partageant des métadonnées - telles que des numéros de téléphone ou des courriels - sur des Canadiens avec des partenaires étrangers.

À la Chambre des communes, mardi, le député néo-démocrate Randall Garrison a exhorté le gouvernement à mettre en vigueur toutes les recommandations de M. Therrien.

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a parlé de M. Therrien comme d'un commissaire «excessivement important». «Ses points de vue comptent. Je salue son examen minutieux de ces enjeux spécifiques», a dit M. Goodale.