L'entreprise de génie SNC-Lavalin a versé près de 118 000 $ en contributions politiques illégales sur une période de sept ans, selon une enquête conclue jeudi par le commissaire aux élections fédérales.

Elle s'en tire toutefois à bon compte - sans pénalités - alors que le commissaire a spécifié avoir conclu une entente de transaction avec la firme d'ingénierie montréalaise, qui est loin d'en être à ses premières infractions éthiques.

Les contributions ont été versées surtout aux libéraux et, dans une moindre mesure, aux conservateurs entre le 9 mars 2004 et le 1er mai 2011.

Dans l'entente de transaction, le commissaire Yves Côté affirme que d'anciens hauts dirigeants de la firme d'ingénierie ont sollicité des employés en vue de faire des contributions politiques fédérales.

Dans certains cas, ces contributions ont été remboursées aux employés sous forme d'un faux remboursement de dépenses personnelles ou d'un paiement factice de bonus ou d'autres avantages, pour une valeur totale qui s'élève à 117 803,49 $.

Au Canada, seuls les individus - et non les entreprises - peuvent verser des dons à des partis politiques. Les stratagèmes comme les prête-noms permettant de dépasser le plafond de contributions permises, soit 1525 $ par année, sont également interdits.

Le commissaire précise que les partis politiques ont remboursé ces contributions illégitimes au receveur général du Canada et que SNC-Lavalin a «pleinement coopéré» et «s'est engagée à collaborer avec le Bureau pour la durée de l'enquête en cours».

Le commissaire a conclu que le Parti libéral du Canada (PLC) a reçu 83 534,51 $ de cette manière, et ses associations de circonscriptions, 13 552,13 $. Des candidats à la course au leadership du PLC en 2006 ont, quant à eux, empoché 12 529,12 $.

De son côté, le Parti conservateur du Canada a reçu 3137,73 $ de SNC-Lavalin par l'entremise de ce stratagème, et ses associations de circonscription ainsi que ses candidats, 5050 $.

Le Groupe SNC-Lavalin affirme qu'il ne divulguera pas les noms des personnes qui ont été impliquées dans le stratagème à l'époque.

«Tous les membres du bureau du président de la compagnie qui avaient été impliqués dans les activités reprochées ne sont plus à notre emploi, a fait valoir un porte-parole de l'entreprise, Louis-Antoine Paquin. Et les nouveaux de notre équipe de direction n'ont jamais été impliqués non plus dans ces activités-là.»

M. Paquin n'était pas en mesure d'indiquer si des contrats avec Ottawa avaient été conclus grâce à ces contributions illégales. «Il n'y a pas de lien qui a été établi entre les contributions qui ont été effectuées et les contrats qui ont pu être gagnés», a-t-il soutenu.

«Je ne peux pas m'avancer sur le but précis des contributions qui ont été faites», a-t-il ajouté.

Au PLC, on assure avoir été mis au courant de l'existence de ce stratagème en août seulement. Interrogé quant à savoir si le parti allait lancer une enquête à l'interne pour déterminer si certains individus au sein du parti étaient au courant à l'époque, le directeur des communications du PLC, Braeden Caley, a répondu que la formation politique avait déjà fait ses devoirs en matière d'éthique.

«Nous avons déjà révisé nos politiques et pratiques d'acceptation de dons cette année, pour aller de l'avant avec notre engagement en faveur de la responsabilité et de la transparence. Et nous allons évidemment continuer ce travail dans les prochains mois», a-t-il noté au téléphone.

Le député conservateur Pierre Paul-Hus a lui aussi insisté sur le fait que le stratagème a été mis en place il y a longtemps.

«Les événements sont arrivés il y a quelques années, je crois. Et puis maintenant, nous, comme Parti conservateur, on maintient toujours la politique très ferme de faire les choses honnêtement, tout en suivant les règles d'Élections Canada», a-t-il indiqué.

L'entente conclue par le commissaire comprend une liste de conditions à laquelle l'entreprise a consenti à se soumettre. SNC-Lavalin a notamment accepté de mettre en place des politiques pour déceler ce genre de pratiques illégales. Elle reconnaît publiquement la responsabilité pour ses actes, accepte de mettre à jour son code d'éthique pour y inclure une clause spécifiquement sur les contributions politiques et instaure un processus de vérification interne.

Par ailleurs, l'enquête sur ce stratagème se poursuit. «La transaction ne veut pas dire qu'on ne pourrait pas poursuivre des gens dans le futur», a noté Michelle Laliberté, porte-parole du commissariat.

La réputation de SNC-Lavalin a été fortement entachée ces dernières années. En 2012, le président et chef de la direction Pierre Duhaime a dû démissionner de son poste et a éventuellement été accusé de fraude, dans la foulée du scandale du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

L'entreprise fait également face à des accusations de corruption et de fraude pour ses activités en Libye.

Les partis politiques qui n'ont pas bénéficié des largesses de SNC-Lavalin n'ont pas hésité à accuser leurs adversaires d'avoir profité de la situation.

«Quand on parle de montants qui arrivent dans les caisses du parti de cette ampleur-là, c'est dur de nier le fait qu'on (était) au courant», a soutenu le député néo-démocrate Alexandre Boulerice en entrevue téléphonique.

Il est d'avis que le traitement réservé aux entreprises qui commettent ce genre de pratique est beaucoup trop clément, et il aurait aimé qu'une amende soit imposée à la firme de génie.

Le chef bloquiste intérimaire, Rhéal Fortin, a signalé que ce stratagème avait lieu pendant et après la Commission Gomery sur le scandale des commandites. Il a plaidé en faveur du retour au financement public des partis politiques à Ottawa.

«On croit que le financement devrait être rétabli et que ça contribuerait à éviter ce genre de situation là», a-t-il insisté.