Les casques bleus ne doivent pas servir de monnaie d'échange en vue de la reconquête d'un siège au Conseil de sécurité des Nations unies (ONU). C'est le message que lance un ex-commandant des forces canadiennes de maintien de la paix déployées en Bosnie dans les années 1990.

Le major-général à la retraite Lewis MacKenzie a pris la plume pour y aller de ce plaidoyer, alors même que le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, effectue un «voyage d'enquête» en Afrique avec le lieutenant-général à la retraite Roméo Dallaire et la juge à la retraite Louise Arbour.

Dans une lettre ouverte publiée mercredi dans les pages du quotidien torontois The Globe and Mail, il exhorte le gouvernement libéral à abandonner son «obsession de remporter un coûteux siège temporaire au Conseil de sécurité».

Il y plaide que le déploiement de casques bleus n'est plus pertinent dans le contexte post-Guerre froide et fait valoir que le Canada devrait plutôt contribuer à d'autres agences onusiennes plus efficientes, comme l'UNICEF ou l'Agence des Nations unies pour les réfugiés.

Le premier ministre Justin Trudeau a confié au ministre Sajjan et à son collègue aux Affaires étrangères, Stéphane Dion, le mandat d'accroître le soutien du Canada aux opérations de maintien de la paix. Il s'agit de l'une des pierres angulaires de la stratégie pour reconquérir un siège.

Le porte-parole associé du Parti conservateur en matière de défense, Pierre Paul-Hus, reproche au gouvernement de «se chercher une mission qui n'existe pas, tout simplement pour se donner une bonne image face aux Nations unies, pour essayer de regagner un siège au Conseil de sécurité».

Il est vrai que, «pour pouvoir jouer dans cette compétition-là, les pays doivent montrer qu'ils sont impliqués dans le maintien de la paix à travers l'ONU», expose Marie-Joëlle Zahar, directrice scientifique au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix (ROP).

Mais il est aussi vrai que certaines missions de maintien de la paix pourraient desservir les intérêts économiques et géopolitiques canadiens, a fait remarquer la chercheuse en entrevue téléphonique.

«Le Canada a un intérêt à ce que certains pays africains soient stables, notamment parce que nous y avons des intérêts commerciaux très importants. C'est en Afrique qu'une grande partie de nos compagnies minières travaillent», a soulevé Mme Zahar.

La contribution des troupes canadiennes à ces opérations est en dégringolade depuis des années. Avec ses 106 casques bleus - 75 policiers, 21 soldats et 10 experts militaires -, le Canada est aujourd'hui au 67e rang des pays contributeurs, selon le site de l'ONU.

Selon Marie-Joëlle Zahar, le gouvernement ne «doit pas se leurrer»: le coût, la complexité et la dangerosité des opérations de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU n'ont cessé de croître au fil des ans.

Mais certaines de ces missions sont «très importantes», a-t-elle insisté, et le Canada pourrait très bien y contribuer sans que cela n'entraîne des dépenses pharaoniques.

«Le Canada peut s'engager à fournir une expertise de niche qui peut faire la différence et qui ne soit pas coûteuse. (...) Je ne pense pas que l'appui doive nécessairement passer par l'envoi de 100, 200, 500 Canadiens», a exposé Mme Zahar.

Le ministre Sajjan et ses deux illustres accompagnateurs ont officiellement amorcé leur voyage en sol africain mardi en Éthiopie. Ils doivent aussi se rendre en République démocratique du Congo (RDC), au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda.

Il ne faut toutefois pas nécessairement considérer les nations visitées comme «des possibilités de choix d'emplacements pour l'établissement futur de missions de maintien de la paix», a insisté Jordan Owens, l'attachée de presse du ministre de la Défense.

Le gouvernement Trudeau pourrait profiter d'un sommet des Nations unies sur les opérations de maintien de la paix prévu à Londres, en septembre, pour fournir davantage de détails sur ses intentions.

Parmi les pays les plus fréquemment cités comme potentiels bénéficiaires de l'assistance canadienne figurent Haïti et le Mali. Un déploiement dans ce pays du Sahel, région où sévissent des groupes djihadistes, ne serait cependant pas sans danger.

«C'est une mission qui a perdu plus de 50 casques bleus dans la dernière année, a relevé Mme Zahar. Donc je pense que si on doit s'engager, on doit s'engager en bonne connaissance des risques.»

Le Canada s'apprête à déployer, cet automne, «un petit nombre» non spécifié de membres des Forces armées canadiennes (FAC) dans un autre pays du Sahel, le Niger.

Ce déploiement «n'a rien à voir avec une possible opération de soutien de la paix, il s'agit plutôt d'opérations épisodiques de renforcement des capacités en Afrique ayant pour but de lutter contre les menaces à la sécurité régionale», a indiqué le ministère de la Défense.

M. Paul-Hus, qui accuse le gouvernement de «se servir des soldats canadiens» à des fins politiques, réclame un débat aux Communes avant tout déploiement militaire pour une mission d'opération de maintien de la paix.

À cette demande précise, le gouvernement s'est contenté de répondre, par l'entremise du ministère de la Défense, qu'en le portant au pouvoir en octobre 2015, les Canadiens lui avaient donné «le mandat d'accroître sa contribution pour bâtir un monde plus sécuritaire et plus pacifique».

Répartition des casques bleus canadiens (missions de l'ONU)

MINUSTAH (Haïti): 80 (75 policiers et 5 soldats)

MONUSCO (République démocratique du Congo): 8 soldats

UNFICYP (Chypre): 1 soldat

UNMISS (Soudan du Sud): 13 (7 soldats et 6 experts militaires)

UNTSO (Proche-Orient): 4 experts militaires

Total: 106

Source: ONU (données au 30 juin 2016)