Alors que le président américain Barack Obama s'amène à Ottawa pour le sommet des «trois amigos», l'ex-premier ministre canadien Paul Martin approuve l'idée du gouvernement Trudeau de réfléchir à nouveau sur la participation du Canada au bouclier antimissile américain.

Onze ans après avoir dit non à George W. Bush, Paul Martin note que plusieurs des raisons de son refus à l'époque ne peuvent plus être invoquées, certaines circonstances ayant changé. «La Corée du Nord n'était pas dans le jeu» en 2005, dit Paul Martin en entrevue à La Presse.

S'il «ne veut pas donner de conseils au gouvernement [Trudeau]», Paul Martin estime que la décision d'Ottawa dépendra notamment de son évaluation des risques nucléaires que pose la Corée du Nord. «Il y a 10 ans, c'était très clair: la Corée du Nord n'avait pas la capacité [de lancer des missiles nucléaires], dit Paul Martin. Est-ce qu'ils l'ont aujourd'hui? Ce n'est pas clair. Il n'y a pas de doute que s'il y a un risque, le Canada devra agir selon les circonstances. Et il n'y a pas de doute que les ambitions de la Corée du Nord vont certainement en augmentant.» 

«On sait fort bien que la Corée du Nord a plus de capacités aujourd'hui qu'elle n'en avait il y a 10 ans. [Les Nord-Coréens] sont-ils capables d'envoyer un missile en Amérique du Nord? Je ne suis pas dans le secret des dieux», affirme M. Martin.

En avril dernier, le gouvernement Trudeau a annoncé une consultation sur la politique de défense du pays. Parmi les enjeux étudiés, Ottawa réfléchit à sa participation au bouclier antimissile américain. Les enjeux généraux de sécurité sont à l'agenda des discussions entre le président américain Barack Obama et le premier ministre canadien Justin Trudeau aujourd'hui lors du Sommet des leaders nord-américains à Ottawa.

«Nous sommes très intéressés et nous avons hâte que [le Canada révise sa stratégie de défense]. Nous sommes des alliés solides sur le plan militaire, nous sommes ensemble dans NORAD, l'OTAN, nous travaillons ensemble pour à terme éliminer Daesh [le groupe État islamique], nous travaillons ensemble à travers le monde. Évidemment, quand vous avez un partenariat aussi étroit, nous avons un très grand intérêt à ce que le Canada continue d'être un allié fort et qu'il ait la meilleure force militaire possible», dit l'ambassadeur des États-Unis au Canada, Bruce A. Heyman, en entrevue à La Presse.

L'adhésion au bouclier antimissile serait-elle plus facile à accepter dans l'opinion publique au Canada une décennie plus tard sous la présidence de Barack Obama, plus populaire au Canada que son prédécesseur George W. Bush? «Quand j'ai pris la décision, ce n'était pas une question d'opinion publique, répond Paul Martin. Je n'avais pas la réponse des États-Unis [sur les protocoles], la question des missiles lancés par les sous-marins m'inquiétait [davantage], la Corée du Nord n'était pas dans le jeu à l'époque. Vous savez, le monde change, le monde évolue, il faut réévaluer les situations au plan militaire. Comme on dit en anglais, don't fight the last war.»

Danger nucléaire

Paul Martin «comprend totalement» la décision du gouvernement Trudeau de réévaluer la participation du Canada au bouclier antimissile. «Lorsque les circonstances changent, les gouvernements doivent examiner à nouveau leurs décisions. C'est important que le gouvernement révise [ses décisions] lorsque les circonstances changent», indique Paul Martin, qui dit avoir bon espoir «que le gouvernement va prendre la décision requise» dans les circonstances.

Selon Paul Martin, un élément de l'équation qui a changé depuis 10 ans: le danger nucléaire représenté par la Corée du Nord. «Le vrai changement, c'est les capacités de la Corée du Nord», dit Paul Martin, qui se dit davantage inquiet de la Corée du Nord qu'il y a une décennie, mais pas suffisamment «dans le secret des dieux» pour trancher le débat. «Si le Canada pense que la Corée du Nord est une menace, c'est au gouvernement de prendre la décision», dit-il en soulignant la grande compétence du ministre fédéral de la Défense Harjit Sajjan.

Paul Martin rappelle aussi qu'il avait refusé d'engager le Canada dans le projet du président américain George W. Bush en 2005 principalement pour deux raisons. Premièrement, parce qu'il n'avait pas obtenu assez de détails des Américains sur les protocoles de collaboration et les plans de conception du bouclier antimissile américain. Deuxièmement, parce qu'Ottawa s'inquiétait davantage du risque des missiles sous-marins que des missiles nucléaires aériens.

«Nous demandions aux Américains d'établir d'abord des protocoles avec NORAD et USNORTHCOM, dit Paul Martin, qui dirigeait un gouvernement libéral minoritaire en 2005. Nous étions en train de négocier les protocoles, qui étaient absolument nécessaires pour moi, et les Américains étaient très lents à agir. [...] Ça retardait, ça retardait, ça retardait. Moi, j'ai dit non parce que je n'étais pas prêt à dire oui avant d'avoir des réponses satisfaisantes [à ces deux questions]. On avait demandé aux Américains de ne pas soulever la question [publiquement] jusqu'à temps [qu'on ait ces réponses] [...] Quand le président Bush est venu à Halifax, il l'a soulevée. J'ai dit très bien, dans ce cas-là, on va dire non. Ça n'a pas vraiment froissé qui que ce soit. Les Américains et M. Bush comprenaient fort bien.»

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PAUL MARTIN SUR...

Le Brexit : «Je suis très inquiet. Nous sommes dans une période de croissance économique minime à l'échelle mondiale. On n'avait pas besoin de ça. Malheureusement, je pense que c'est une décision économique vraiment très sérieuse qui a été prise pour des raisons non économiques. On le sait fort bien, c'est vraiment la question de l'immigration. Je ne suis pas d'accord avec leurs raisons, et je ne suis pas d'accord avec leur décision. J'espère que [ça n'aura pas d'impact sur l'entente de libre-échange Canada-Europe].»

Le sommet des «trois amigos» : «Avec tout ce qui vient de se passer en Angleterre, je pense que c'est très important que nos trois leaders discutent de la question du commerce international entre nos trois pays. C'est très bien d'avoir la rencontre des trois leaders [de l'Amérique du Nord] actuellement, spécialement dans le contexte du Brexit», dit Paul Martin, qui a participé comme premier ministre canadien au premier sommet des «trois amigos» au Texas en 2005.

Le dossier du bois d'oeuvre : «Les Américains devraient [accepter] une extension ou une nouvelle entente. C'est très clair que le blocus aux États-Unis n'est pas acceptable. [...] Espérons que les Américains vont reconnaître [...] que le bois canadien est absolument crucial pour eux.»