Stephen Harper pourrait mettre en péril sa majorité conservatrice chèrement acquise au Sénat s'il s'obstine à ne pas y combler les nombreux sièges vacants avant les prochaines élections.

Hier, le premier ministre a affirmé qu'il n'est nullement pressé de nommer de nouveaux sénateurs malgré les 16 sièges vacants à la Chambre haute et les pressions en ce sens du nouveau président, Pierre-Claude Nolin.

«Du point de vue du gouvernement, nous sommes capables de continuer à faire adopter nos mesures législatives au Sénat. Donc, de notre point de vue, le Sénat du Canada continue à remplir ses fonctions», a déclaré M. Harper.

La réalité politique pourrait cependant lui forcer la main, selon une analyse des départs à la retraite prévus en 2015 réalisée par La Presse. Son parti, en effet, pourrait perdre rapidement sa majorité au Sénat si les troupes de Stephen Harper mordent la poussière aux prochaines élections.

À l'heure actuelle, le Sénat compte 53 conservateurs, 30 libéraux, 6 indépendants et 16 sièges vacants.

D'ici aux élections d'octobre 2015, quatre autres sénateurs tireront leur révérence, dont trois conservateurs et un indépendant, le sénateur québécois Jean-Claude Rivest.

Résultat: si les libéraux prennent le pouvoir au prochain scrutin, Justin Trudeau pourrait rapidement reprendre le contrôle de la Chambre haute en nommant 20 sénateurs d'un seul coup et ainsi renverser la majorité durement acquise par les troupes de M. Harper en une décennie de pouvoir.

Dans ce contexte, le sénateur Rivest reconnaît que le premier ministre ne pourra se permettre de lever le nez encore très longtemps sur de nouvelles nominations au Sénat. «Mais un an avant les élections, il ne veut surtout pas entendre parler du Sénat», a-t-il dit.

Le premier ministre n'a pas nommé de sénateur depuis mars 2013, il y a plus d'un an et demi. «Je ne reçois pas beaucoup d'appels de Canadiens pour nommer de nouveaux sénateurs!» a-t-il lancé à la blague lors d'un point de presse dans la région de Toronto hier.

Mais si les scandales des derniers mois et l'échec subi devant la Cour suprême l'ont convaincu de se tenir loin de ces questions, le contexte politique de 2015 pourrait s'avérer tout aussi défavorable.

D'abord, le vérificateur général, Michael Ferguson, doit déposer tôt dans la nouvelle année son rapport d'enquête sur les dépenses de tous les sénateurs entre 2011 et 2013.

Ensuite, le sénateur Mike Duffy doit subir, à partir du mois d'avril, un procès de 60 jours qui pourrait éclabousser le bureau du premier ministre.

Comment réagiraient les autres partis s'ils prenaient le pouvoir avec, en prime, 20 nouveaux sénateurs à nommer? Lorsqu'il a expulsé les sénateurs libéraux de son caucus, en janvier, Justin Trudeau a promis d'instaurer un comité non partisan de «sages» pour proposer des candidats à la Chambre haute. Quant au NPD, le parti veut abolir le Sénat, donc pas question de nommer de nouveaux sénateurs.

Québec prend acte du «malaise»

Le refus de Stephen Harper de nommer des sénateurs pourrait irriter certaines provinces, puisque la Chambre haute leur offre en principe une représentation supplémentaire à Ottawa. «Cela démontre qu'il y a un malaise actuellement face au Sénat à Ottawa», a affirmé hier un porte-parole au bureau du ministre québécois des Affaires intergouvernementales, Jean-Marc Fournier. «Si la volonté du fédéral, c'est d'amorcer une discussion sur la réforme du Sénat, le Québec va y participer et va faire valoir ses enjeux», a ajouté ce porte-parole, Félix Rhéaume. Selon le sénateur indépendant Jean-Claude Rivest, au-delà des calculs politiques, «c'est la responsabilité constitutionnelle du premier ministre. L'institution est là. Il doit nommer 105 sénateurs et évidemment, le faire de façon raisonnable», a-t-il déclaré.