La juge en chef de la Cour suprême du Canada affirme que les récents accrochages qu'elle a eus avec le premier ministre Stephen Harper et le ministre de la Justice, Peter MacKay, n'ont pas affaibli le respect des politiciens envers les tribunaux.

Selon Beverley McLachlin, il n'est pas rare qu'il y ait des tensions «ici et là» entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. «Nous avons un travail à faire en cour et nous continuerons de le faire au meilleur de nos capacités. Il y aura toujours des tensions ici et là, mais cela fait partie du processus», a-t-elle dit aux journalistes à Saint-Jean, Terre-Neuve-et-Labrador, où elle participait à une rencontre de l'Association du Barreau canadien.

Plus tôt cette année, MM. Harper et MacKay ont laissé entendre que la juge McLachlin avait agi de façon inappropriée en relevant des problèmes potentiels dans la nomination proposée du juge de la Cour fédérale Marc Nadon à la Cour suprême. Le plus haut tribunal a statué ensuite qu'effectivement, la nomination du juge Nadon ne respectait pas les critères d'admissibilité au poste, et le pouvoir exécutif a dû se plier à cet arrêt. C'est finalement le juge Clément Gascon qui a par la suite été nommé à la Cour suprême.

Les critiques lancées en public par MM. Harper et MacKay ont poussé Mme McLachlin a poser un geste rare: émettre une déclaration dans laquelle le juge en chef stipulait qu'elle n'avait pas tenté d'influencer le mécanisme de nomination de Marc Nadon - elle n'avait que souligné d'éventuels problèmes.

La juge McLachlin dit souhaiter aller de l'avant avec les tâches dévolues au plus haut tribunal du pays, malgré les appels d'un organisme international de juges et d'avocats pour que M. Harper retire ses commentaires - une invitation demeurée jusqu'ici sans réponse. La Commission internationale de juristes, qui a son siège à Genève, avait aussi demandé aux deux politiciens canadiens de s'excuser auprès de Mme McLachlin, dont l'intégrité, affirmait-on, a été entachée par ces critiques publiques. «Les critiques n'étaient pas fondées, et représentent un empiétement sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et l'intégrité de la juge en chef», a soutenu la commission dans un avis écrit.

Le directeur des communications de M. Harper a indiqué le mois dernier que le cabinet du premier ministre avait vu la lettre, mais n'avait rien à ajouter. Aucun commentaire non plus du côté du cabinet du ministre MacKay.

Selon le président de l'Association du Barreau canadien (ABC), Fred Headon, il existe toujours des craintes que les déclarations de MM. Harper et MacKay aient miné la confiance des Canadiens envers le système judiciaire. «Tout ce qui nuit à cette confiance peut avoir un effet très corrosif sur la démocratie», a-t-il confié à la presse jeudi.

S'exprimant lui aussi devant l'ABC, le juge en chef de la Cour fédérale, Paul Crampton, a manifesté à son tour ses craintes à propos de la façon dont la nomination du juge Nadon et les retombées de l'affaire pourraient affecter l'opinion qu'ont les Canadiens des tribunaux.