ANALYSE - La scène était quelque peu surréaliste jeudi au Parlement: le chef de l'opposition officielle, Thomas Mulcair, convoqué par ses adversaires politiques devant un comité des Communes afin d'expliquer pourquoi le NPD a utilisé l'argent des contribuables pour payer le salaire d'une dizaine d'employés dans un bureau satellite à Montréal.

Jamais, dans l'histoire du parlementarisme canadien, un chef de l'opposition officielle n'avait été contraint de témoigner devant un comité de la sorte. M. Mulcair n'avait, dit-on, aucune obligation juridique de se plier à une telle demande non plus. Il a décidé de le faire afin de «crever l'abcès», le NPD étant l'objet d'une panoplie d'allégations qui risquaient d'égratigner son armure et mettre à mal son éthique à 18 mois des prochaines élections.

Accompagné de trois de ses proches collaborateurs, M. Mulcair a défendu avec vigueur les actes de son parti durant deux heures. Les employés en question ont été embauchés au vu et au su des autorités de la Chambre des communes, a-t-il dit. Ils avaient le mandat d'effectuer des «fonctions parlementaires» et d'épauler les nouveaux députés néo-démocrates élus lors de la vague orange au Québec en 2011. Ils travaillaient dans un bureau dont le loyer était payé par le NPD et non par les contribuables. Ils n'effectuaient pas du travail partisan, même s'ils travaillaient au même endroit que deux employés du NPD et que les couleurs du parti étaient clairement affichées sur le mur du local à Montréal.

Nouveau règlement

Rien dans les règlements n'interdisait une telle pratique, a rappelé M. Mulcair, jusqu'à ce que les conservateurs et les libéraux décident d'interdire formellement que des employés rémunérés par les Communes travaillent dans un local appartenant à une formation politique en adoptant un règlement en ce sens le 8 avril. Mais ce nouveau règlement cessera de s'appliquer le jour où les élections seront déclenchées en octobre 2015...

Le NPD s'est conformé à ce nouveau règlement. Les employés en question font le même travail, mais au bureau de circonscription du député Thomas Mulcair ou encore de leur domicile.

Mais les libéraux et les conservateurs persistent à dire que le NPD a commis une faute grave en utilisant ainsi l'argent des contribuables. Et ils ont fait des pieds et des mains pour convoquer le leader du NPD devant un comité parlementaire. Ils ont aussi divulgué le plus d'informations possible aux médias avant sa comparution dans l'espoir de le coincer durant son témoignage. Pourquoi déployer tant d'efforts pour faire trébucher Thomas Mulcair?

Visiblement, Thomas Mulcair dérange ses adversaires depuis qu'il a pris la tête du NPD il y a deux ans. Ses interrogatoires serrés sur le scandale des dépenses au Sénat ont déstabilisé le premier ministre Stephen Harper et jeté des doutes sur son leadership dans l'esprit de certains conservateurs. Ses assauts soutenus pour dénoncer les failles de la réforme électorale ont forcé le gouvernement Harper à accepter plusieurs amendements. Ses questions pointues sur la nomination avortée du juge Marc Nadon à la Cour suprême du Canada ont mis à jour des versions contradictoires du premier ministre.

Terrain fertile dans l'Ouest

Les conservateurs craignent aussi une remontée du NPD dans les provinces de l'Ouest. En Saskatchewan, le berceau du socialisme au pays où les troupes de Thomas Mulcair n'ont pourtant aucun député, la nouvelle carte électorale pourrait permettre au NPD d'arracher trois ou quatre sièges aux conservateurs. En Colombie-Britannique, qui aura droit à six autres sièges en 2015, la bataille se fera essentiellement entre les conservateurs et les néo-démocrates au prochain scrutin.

Aux Communes, les observateurs s'entendent pour dire que Justin Trudeau ne fait pas le poids face à Thomas Mulcair. Les libéraux voient donc le chef du NPD comme un obstacle majeur pour reprendre leur juste place sur l'échiquier politique, surtout au Québec où le NPD détient 57 des 75 sièges. Le dernier sondage CROP-La Presse indique que l'étoile de Justin Trudeau pâlit au Québec et que le NPD a la cote auprès des électeurs francophones. Le Parti libéral obtient 32 % des appuis contre 33 % au NPD dans l'ensemble de la province. Mais chez les électeurs francophones, le NPD est en tête avec 38 % contre 24 % au PLC et 24 % au Bloc québécois.

Sur la scène nationale, la moyenne des sondages accorde 35 % au Parti libéral, 29,5 % au Parti conservateur et 22 % au NPD, selon le site ThreeHundredEight.com. Un tel score entraînerait l'élection d'un gouvernement minoritaire. Mais la dynamique d'une campagne électorale, qui met l'accent sur la personnalité des chefs, pourrait bien dicter un autre résultat. «Si on était à 8 % dans les sondages, c'est évident que les conservateurs et les libéraux ne se livreraient pas à de telles manigances», affirme-t-on dans les rangs néo-démocrates.