L'influence exercée par les hautes instances du Parti libéral du Canada dans le processus de nominations de candidats en vue des prochaines élections fait des mécontents au sein de la base militante.

Le chef du PLC, Justin Trudeau, a promis que des votes libres se tiendraient dans toutes les circonscriptions du pays pour permettre aux militants de choisir eux-mêmes les candidats libéraux. Il a ainsi renoncé à une prérogative de longue date du chef libéral, que tous ses prédécesseurs avaient jusqu'ici conservée.

Or, des militants frustrés accusent maintenant les hautes instances du parti d'user de divers stratagèmes pour imposer leurs propres vues sur l'issue de certaines campagnes à l'investiture en cours au Québec et ailleurs au Canada.

Au cours des derniers jours, par exemple, plusieurs libéraux ont contacté La Presse pour dénoncer ce qu'ils jugent être une manipulation des règles pour favoriser un candidat dans la circonscription de Ville-Marie, Marc Miller, un ami de longue date de M. Trudeau.

Ces militants mécontents affirment entre autres que la date du vote pour choisir le candidat libéral dans la circonscription, le 3 avril, a été fixée beaucoup trop tôt compte tenu de l'intérêt suscité par la course, de manière à nuire aux adversaires de M. Miller.

Brigitte Legault, une militante de longue date et ancienne candidate du PLC, a d'ailleurs renoncé à s'y présenter en raison de la date jugée trop hâtive, selon plusieurs sources.

L'autre candidat, Bernard Amyot, qui a reçu l'appui de l'ancien premier ministre Jean Chrétien, aurait lui aussi été désavantagé par cette assemblée hâtive, notamment en raison de la fermeture de son bureau d'avocat, Heenan Blaikie, il y a quelques semaines.

Dans les règles

L'organisateur en chef du PLC au Québec, Pablo Rodriguez, affirme au contraire que tout s'est fait dans les règles et que celles-ci, y compris la date de l'assemblée d'investitures, étaient claires depuis longtemps et pour tout le monde.

« Ville-Marie a suivi le même processus que tout autre comté », a-t-il tranché. « S'il y en a qui ont vendu plus de cartes et s'il y en a qui en ont vendu moins, c'est la responsabilité propre à chacun. »

Mais tous ne partagent pas son point de vue : « Ils sont en train de faire indirectement ce qu'ils ont dit qu'ils ne feraient pas directement », s'est plainte une source libérale qui a requis l'anonymat.

« C'est de la vieille politique, alors que Justin dit justement qu'il veut changer la manière de faire de la politique. »

Ailleurs au Canada

Des décisions prises ailleurs au Canada par les hautes sphères du PLC au cours des derniers jours font aussi sourciller des libéraux.

Dans la circonscription d'Ottawa-Orléans, de nouvelles règles déterminées par le chef Justin Trudeau lui-même pourraient paver la voie à un candidat-vedette en écartant un adversaire potentiel.

Une lettre du président du comité chargé d'approuver les candidatures du PLC explique qu'à la demande de M. Trudeau, il tiendra dorénavant compte de la valeur et du remboursement des dettes encourues par les candidats à la dernière course à la direction du parti qui souhaitent être candidats pour les élections de 2015.

C'est le cas de David Bertschi, qui s'est mesuré à Justin Trudeau lors de la dernière course au leadership. Ce faisant, M. Bertschi a contracté une dette de quelque 150 000 dollars.

Il souhaite maintenant se présenter dans la circonscription d'Ottawa-Orléans, qu'il avait d'ailleurs défendu pour les libéraux fédéraux lors des élections générales de 2011.

Or, cette circonscription est aussi convoitée par l'ancien général à la retraite Andrew Leslie, un proche conseiller de M. Trudeau qui n'a pas encore annoncé officiellement sa candidature.

Lors du congrès libéral à Montréal, il y a quelques semaines, M. Trudeau a fait une accolade à M. Leslie sur scène lorsque ce dernier a évoqué la possibilité de se présenter aux prochaines élections.

Joint par La Presse, David Bertschi est resté prudent et diplomate dans ses commentaires au sujet des nouvelles règles rétroactives sur les dettes de campagne.

« Le public peut penser que peut-être il y a d'autres raisons pour adopter des règles rétroactives... Moi, je donne toujours le bénéfice du doute au parti. On espère et on croit toujours que le parti croit vraiment dans la démocratie et j'ai confiance qu'on va être approuvé par le Comité du feu vert », a-t-il dit.



Toronto

Une situation semblable s'est produite à Toronto, où les hautes instances libérales viennent d'annoncer à une candidate potentielle, Christine Innes, qu'elle ne pourra se présenter en raison des tactiques d'« intimidation » déployées par son mari dans des courses électorales passées.

Son mari, l'ancien député et ministre Tony Ianno, avait aussi pris part dans le passé aux révoltes internes contre l'ancien premier ministre Chrétien. Mme Innes souhaitait remporter la candidature libérale dans la circonscription de Trinity-Spadina, laissée vacante par le départ de la néo-democrate Olivia Chow mercredi. Mme Chow, la veuve de l'ancien chef du NPD Jack Layton, a lancé sa campagne à la mairie de Toronto jeudi.

Le coprésident de la campagne des libéraux fédéraux en Ontario, David MacNaughton, a dit en entrevue avec la Presse canadienne qu'il voulait envoyer un message clair dans les rangs du Parti libéral du Canada que les vieux jours des divisions intestines étaient bel et bien révolus.

« Attendez-vous à des contrecoups de libéraux provinciaux par rapport à cela », a néanmoins écrit le chef de bureau du Toronto Star, Robert Benzie, sur son compte Twitter au sujet de cette décision.

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