Un associé sénior de la firme Deloitte a contacté un membre de l'équipe chargée d'enquêter sur les dépenses de Mike Duffy après avoir été lui-même contacté par le sénateur conservateur Irving Gerstein.

En comité parlementaire jeudi, trois membres de cette équipe ont néanmoins affirmé que l'appel n'avait pas influencé les conclusions de leur rapport sur M. Duffy, rendu public en mai.

« À aucun moment, de l'information confidentielle a été partagée à l'extérieur de l'équipe de l'examen juricomptable. Deloitte réitère le contenu, la qualité et l'objectivité de l'information que nous avons partagée », a déclaré l'associé responsable du dossier, Peter Dent.

Les membres conservateurs du comité de Régie interne se sont quant à eux opposés à ce que l'enquête aille plus loin : au terme de ces témoignages, ils ont voté contre une motion libérale réclamant la comparution de l'associé sénior en question, Michael Runia.

« Ce n'est pas notre rôle de faire une enquête qui, en ce moment, est en train de se faire par la police », a déclaré le président du comité, le sénateur conservateur Gerald Comeau. Il a ajouté que les témoins avaient été clairs quant au fait que leur indépendance n'avait pas été compromise.

Mais les libéraux estiment que plusieurs questions demeurent et ils entendent pousser l'affaire plus loin.

« Il y a quand même un associé sénior qui a fait un appel au nom d'un sénateur et ça soulève des questions, a lancé le sénateur libéral Paul Massicotte au terme de la réunion. Ça ne nous donne pas de conclusions néfastes ou de conclusions contraires, mais ça soulève des questions importantes sur l'indépendance. »

La convocation des trois employés de Deloitte donne suite aux révélations contenues dans un affidavit déposé à la cour par la GRC récemment. 

Des courriels joints à cet affidavit ont démontré que le sénateur Irving Gerstein, de connivence avec des employés de haut rang du bureau du premier ministre, a fait des démarches pour convaincre la firme Deloitte d'abandonner son enquête sur les dépenses de M. Duffy.

Ces pressions ont été exercées dans le contexte des négociations entre l'avocate de M. Duffy et l'ancien chef de cabinet du premier ministre Stephen Harper, entre autres. Ces négociations visaient le remboursement de dépenses réclamées en trop par le sénateur et la tentative de régler un problème politique embarrassant pour le gouvernement conservateur.

« En tant que président du Fonds conservateur, le sénateur Gerstein connaît l'un des associés de Deloitte », Michael Runia, peut-on lire dans la portion de l'affidavit de la GRC qui rend compte d'une entrevue des policiers avec M. Gerstein le 16 septembre.

« Il a appelé M. Runia et lui a demandé s'il pouvait partager quoi que ce soit au sujet du statut de l'audit. M. Runia l'a avisé qu'il ne savait rien, mais qu'il poserait des questions. »

Gary Timm, un employé de Deloitte chargé de l'enquête sur M. Duffy, a affirmé en comité jeudi que M. Runia l'avait appelé et qu'il lui avait demandé à combien s'élevaient les sommes dues par le sénateur. 

M. Timm a déclaré qu'il ne lui avait pas répondu et qu'il avait coupé court à l'appel. Il a précisé que M. Runia n'est pas son supérieur, puisqu'ils ne travaillent pas dans le même département de la firme. 

La GRC a interrogé M. Runia, qui a confirmé être en contact régulier avec le sénateur Gerstein, puisque Deloitte est aussi chargé de l'audit du Fonds conservateur. « Il a indiqué que le sénateur Gerstein l'a appelé et lui a demandé ce qui arriverait si le sénateur Duffy payait l'argent. Sa réponse a été qu'il croyait que les auditeurs feraient quand même leur rapport et qu'ils noteraient le remboursement dans leurs conclusions », peut-on lire dans les documents de cour.

Aucune accusation n'a encore été déposée par la GRC dans cette affaire. Le corps policier fédéral enquête sur la possibilité que MM. Duffy et Wright se soient rendus coupables de corruption de fonctionnaire, de fraude contre le gouvernement et d'abus de confiance par un fonctionnaire public. Le premier ministre Stephen Harper maintien depuis le début de cette affaire que son entourage ne l'a pas informé de toutes ces tractations.

Nigel Wright a remis à Mike Duffy les 90 000 $ qu'il devait au Sénat. M. Wright et d'autres hauts dirigeants du bureau du premier ministre ont exercé des pressions pour que les conclusions d'un rapport sénatorial sur M. Duffy soient clémentes. Quant au rapport Deloitte, il a noté que le sénateur Duffy n'avait pas collaboré à l'enquête. Mais comme pour les autres sénateurs (Patrick Brazeau, Mac Harb et Pamela Wallin), il a détaillé leurs déplacements, et conclu que les règles donnant droit à des allocations de résidence n'étaient pas assez claires pour affirmer qu'ils y avaient contrevenu.