Une importante majorité de sénateurs ont voté pour suspendre leurs collègues Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau jusqu'aux prochaines élections, mardi soir. Un vote sans précédent qui a révélé certaines failles, tant au sein du caucus conservateur que de celui des libéraux.

Après trois semaines de débats houleux à la Chambre haute, c'est donc officiel: les trois sénateurs au coeur du scandale des dépenses qui ébranle le gouvernement Harper depuis près d'un an sont suspendus sans salaire. Ils conservent leur assurance vie et leur couverture médicale.

Jusqu'à la dernière minute, on s'attendait à ce que Mike Duffy se présente au Sénat pour livrer un plaidoyer final. Ses deux premiers discours ont eu l'effet d'une bombe sur le gouvernement Harper. Il a notamment révélé l'existence d'un deuxième chèque que lui a versé le Parti conservateur pour rembourser ses frais d'avocat. Il a également mis en cause plusieurs personnes dans l'entourage immédiat du premier ministre.

Mais M. Duffy n'a pas été vu au Sénat mardi et était absent de la Chambre au moment du vote.

M. Brazeau, qui avait livré un vibrant plaidoyer tard lundi soir, a voté contre la motion qui le suspendrait, puis a quitté le Parlement en trombe.

Mme Wallin est restée silencieuse tandis qu'une majorité de sénateurs votaient pour sa suspension. Elle s'est abstenue de voter.

«C'est une journée extrêmement triste pour la démocratie, a lancé Mme Wallin après le vote. Si nous ne pouvons présumer que la règle de droit s'applique au Canada, où sur Terre peut-on s'attendre à la trouver?»

Les trois sénateurs soutiennent qu'ils ont toujours respecté les règles. Ils accusent Stephen Harper et son entourage de vouloir les évincer pour se débarrasser d'une controverse gênante.

Division

Le leader conservateur au Sénat, Claude Carignan, a dû composer avec la grogne de plusieurs membres de son caucus au cours des dernières semaines.

Le sénateur montréalais Hugh Segal a maintes fois pris la parole pour dénoncer la suspension de ses collègues sans qu'ils aient pu présenter une défense adéquate et alors qu'ils n'ont encore été condamnés par aucun tribunal.

Au final, M. Segal a été le seul conservateur à voter contre l'initiative de son gouvernement.

Sept sénateurs conservateurs se sont abstenus de voter  la suspension de M. Brazeau. Quatre se sont abstenus de voter sur celles de M. Duffy et de Mme Wallin.

Le sénateur Don Plett, ancien président du Parti conservateur, est du nombre. Ces derniers jours, il a maintes fois dénoncé le processus visant ses trois collègues. Malgré ses réserves, il n'a pas voté contre son gouvernement, préférant l'abstention.

«Nous n'avions aucune chance de gagner ce vote, a-t-il pesté à sa sortie du Sénat, ne cachant pas sa frustration. Je sais quand il est temps d'abandonner le combat. Je sais quand il est temps de faire du Sénat quelque chose de crédible. C'est ce que j'ai l'intention de faire.»

M. Carignan, lui, n'était pas surpris de la grogne de ses collègues. Chaque sénateur conservateur a été libre de voter selon sa conscience, a-t-il affirmé. Il a plutôt blâmé l'attitude «partisane» du Parti libéral au cours des dernières semaines, accusant ses membres d'avoir cautionné le «statu quo» à la Chambre haute.

Trudeau n'est pas écouté

La discipline de parti a également été mise à l'épreuve chez les libéraux. Quelques heures avant le vote, le chef Justin Trudeau avait publiquement invité ses sénateurs à s'abstenir de voter. Il voulait éviter que ses troupes se portent garantes de la démarche du gouvernement Harper, tout en évitant de défendre les trois sénateurs.

Or, une majorité importante de sénateurs libéraux ont choisi d'ignorer cette requête et de voter contre la suspension. Seulement sept d'entre eux, dont le leader James Cowan, se sont abstenus de voter. Paul Massicotte a été le seul dans son camp à se rallier à l'initiative du gouvernement.

«Nous avons été clairs de notre côté. Nous ne reconnaissons pas le processus, nous ne pensons pas que c'était un processus juste, a affirmé M. Cowan. Il a été conçu pour convenir aux besoins politiques du premier ministre, de faire taire ces trois sénateurs avant qu'ils puissent révéler d'autres éléments dommageables.»

QU'ONT-ILS FAIT?

MIKE DUFFY 

En mai, le sénateur a quitté le caucus conservateur après qu'un rapport Deloitte eut révélé ses dépenses extravagantes. Il a accepté de rembourser 90 000$. On a toutefois appris plus tard que le chef de cabinet de Stephen Harper, le millionnaire Nigel Wright, lui a signé un chèque personnel pour qu'il puisse rembourser ces sommes. La GRC enquête sur l'affaire. 

PAMELA WALLIN 

Un audit a signalé que la sénatrice de la Saskatchewan a facturé des dépenses inappropriées se chiffrant à 121 348$. Un comité du Sénat a par la suite déterminé qu'elle devait près de 140 000$ à la Chambre haute. Elle a remboursé plus de 100 000$ et s'est excusée. La GRC soupçonne la sénatrice de fraude et d'abus de confiance, selon des documents produits en cour à la fin octobre. 

PATRICK BRAZEAU

Le plus jeune sénateur de l'histoire aurait déclaré que sa résidence principale était à Maniwaki alors qu'il résidait à Gatineau. Ce stratagème lui aurait permis de toucher des allocations de logement et des indemnités journalières auxquelles il n'avait pas droit. Il a par ailleurs été accusé de voies de fait et d'agression sexuelle après un incident survenu en février. Il a plaidé non coupable.

Salaire

135 200$ - Le salaire de base d'un sénateur. De cette somme, le Sénat prélevait 20% à Patrick Brazeau pour qu'il puisse rendre les allocations de logement qu'il a perçues de manière inappropriée. Sa suspension sans salaire pourrait donc l'empêcher de rembourser les contribuables.