Même si le gouvernement péquiste soutient que l'interdiction du port de signes religieux ostentatoire dans la fonction publique serait constitutionnelle, il est loin d'être certain que la Cour suprême en arriverait à la même conclusion, selon des juristes consultés par La Presse.

Le projet de loi n'est pas encore déposé. S'il était adopté, il serait probablement contesté sur trois bases, croit Stéphane Beaulac, professeur de droit à l'Université de Montréal: pour atteinte à la liberté de religion et à la liberté d'expression, et pour discrimination à cause de la religion. 

Voici la réflexion que devrait alors faire la Cour suprême. 

LE TEST DE LA COUR SUPRÊME

La Cour suprême examinerait si l'atteinte à ces libertés est «raisonnable» dans une «société libre et démocratique». Pour cela, en vertu de la jurisprudence, elle répondrait à deux questions.  

La première porte sur l'objectif visé. Est-il légitime? La deuxième porte sur les moyens choisis. Ont-ils un lien rationnel avec l'objectif? Le font-ils avec une atteinte minimale aux libertés fondamentales? Et les avantages sont plus grands que les désavantages? Dans cet examen, c'est Québec qui aurait le fardeau de la preuve. 

LA NEUTRALITÉ, OBJECTIF LÉGITIME

Tout indique que l'objectif, protéger la neutralité de l'État serait jugé légitime, selon Henri Brun, constitutionnaliste consulté par le gouvernement péquiste, et Louis-Philippe Lampron professeur de droit à l'Université Laval et spécialiste de ces questions.  

Selon le gouvernement péquiste, la neutralité religieuse s'applique autant à l'État qu'à ses employés. La Cour suprême pourrait toutefois avoir une interprétation plus limitée. Me Brun croit que l'interprétation péquiste «se défend». La neutralité doit s'incarner à la fois dans les faits et dans «les apparences», soutient-il. 

LE DÉBAT DES MOYENS

Même si les juges retenaient la définition péquiste, Québec devrait prouver que cette neutralité de l'État est menacée. «Dans les accommodements, il n'y a peut être pas de crise, mais il y a un malaise. Ce n'est pas la même chose pour le port des signes religieux aux fonctionnaires. L'interdiction sort du champ gauche», lance Me Lampron, qui réclamait pourtant une charte de la laïcité. On n'a pas recensé de plaintes, ajoute-t-il. Si on ne prouve pas qu'on règle un problème majeur, ce sera retenu dans la comparaison entre les avantages et les inconvénients. 

Me Brun croit que Québec pourrait plaider que la liberté de religion a aussi son corolaire: la liberté de ne pas être soumis à des décisions basées sur la religion. Selon lui, Québec pourrait améliorer les chances de la charte de survivre à une contestation en interdisant les signes religieux ostentatoires à seulement deux catégories d'employés de l'État : ceux qui exercent une position d'autorité (autorité coercitive, comme le proposait le rapport Bouchard-Taylor, et autorité morale, incluant les enseignants et directeurs d'école) ou ceux qui interagissent avec le public. 

UN JUGEMENT DISCRÉTIONNAIRE

La Cour suprême a une grande discrétion dans l'évaluation de ces principes, rappelle Me Lampron. Des arguments rationnels peuvent mener à des conclusions diamétralement opposées. Et le plus haut tribunal du pays a tendance à accorder une grande importance aux libertés individuelles, ajoute Me Brun. Me Lampron cite en exemple la décision récente de permettre aux femmes de porter le niqab en cour à certaines conditions.

Me Beaulac nuance toutefois, en rappelant la cause Éric contre Lola, où la Cour suprême n'avait pas renversé la loi québécoise, malgré l'atteinte alléguée aux droits d'une citoyenne qui réclamait une pension alimentaire personnelle.