Ottawa n'a pas à obtenir le consentement des provinces s'il veut réformer le Sénat, croient les conservateurs. Et dans l'éventualité où le fédéral voudrait aller jusqu'à son abolition, l'accord unanime des provinces ne serait pas nécessaire, estiment-ils.

Le gouvernement du Canada a déposé mercredi un mémoire contenant les arguments qu'il plaidera en cour, dans l'espoir d'aller de l'avant avec sa réforme du Sénat.

Le document de 80 pages offre des points de vue juridiques soutenant une position réitérée par le ministre de la Réforme démocratique Pierre Poilièvre en conférence de presse: la Chambre haute doit être réformée ou abolie - même si les conservateurs préfèrent pour l'instant la première option.

La Cour d'appel du Québec et la Cour suprême du Canada doivent toutes les deux entendre un renvoi sur la réforme du Sénat, une institution qui a été au centre de nombreux scandales ce printemps.

Le premier ministre Stephen Harper et ses troupes croient que le Parlement n'a pas besoin de l'aval des provinces pour réformer la Chambre haute, pas plus qu'il n'a l'obligation d'ouvrir la Constitution. Québec est catégoriquement opposé à cette interprétation.

Avec C-7, leur dernier projet de loi sur le sujet, les conservateurs veulent limiter à neuf ans le mandat des représentants de la Chambre haute, plutôt qu'une retraite imposée à 75 ans, comme c'est le cas actuellement. Ils proposent également un processus d'élection des candidats pour les provinces qui souhaiteraient le faire. Le premier ministre pourrait alors recommander que ces élus soient nommés sénateurs.

Cela ne modifierait pas la Constitution du pays, selon le fédéral, puisqu'il ne s'agit pas d'un suffrage direct.

«L'hypothèse selon laquelle les premiers ministres seront moralement ou politiquement tenus de choisir sur la liste est sans fondement», peut-on lire dans le mémoire.

Ottawa croit de plus qu'il peut modifier les conditions de propriété, qui nécessitent, selon la Loi constitutionnelle de 1867, qu'une personne possède l'équivalent de 4000$ en biens pour être nommée à un poste de sénateur.

«Les conditions de propriété ne constituent pas un indicateur fiable de la qualité ou du caractère d'une personne, ne garantissent pas sa liberté de réflexion et n'offrent pas non plus un aperçu particulier d'un examen plus approfondi du processus législatif», écrivent les avocats du procureur général du Canada.

Abolition?

Dans son renvoi auprès du plus haut tribunal du pays, Ottawa demande par ailleurs aux magistrats s'il peut abolir le Sénat, même si une province y est opposée.

«Pouvons-nous abolir le Sénat sans le consentement unanime des provinces? Nous soutenons que oui», a tranché M. Poilièvre en conférence de presse.

Même si cette dernière option n'est pas dans les cartons pour l'instant, le nouveau ministre estime que le fédéral doit en avoir le coeur net quant à l'étendue de ses pouvoirs.

«Il y a un débat au Parlement là-dessus, l'opposition officielle propose l'abolition totale, le premier ministre de la Saskatchewan (Brad Wall) lui-aussi le propose, et nous sommes prêts à écouter la direction de la Cour suprême à l'égard de nos pouvoirs et de la procédure nécessaire pour faire un tel amendement à la Constitution», a-t-il plaidé.

Dans le factum déposé en cour, Ottawa soutient que le principe du 7/50 énoncé dans la Loi constitutionnelle de 1982 - soit l'accord d'au moins sept provinces représentant 50% de la population - est suffisant pour liquider l'institution.

Le renvoi à la Cour d'appel du Québec sera entendu les 10 et 11 septembre, suivi de celui à la Cour suprême, du 12 au 14 novembre.

Les dépenses des sénateurs ont fait les manchettes au cours de la dernière année, particulièrement avec l'affaire Duffy. Le sénateur Mike Duffy a accepté un chèque de 90 000$ de Nigel Wright, alors chef de cabinet de M. Harper, afin de rembourser des allocations de logement auxquelles il n'avait pas droit.