Depuis un an, le gouvernement conservateur se penche sur les demandeurs d'asile et les réfugiés du Canada. Alors que le projet de loi C-31 est toujours en lecture à la Chambre des communes, le ministre de l'Immigration a semé la surprise, et l'inquiétude, en sabrant le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), qui fournit une couverture médicale temporaire aux demandeurs d'asile et aux réfugiés. État des lieux d'une politique et des inquiétudes qu'elle soulève.

Les quatre missives du gouvernement fédéral sont arrivées les unes après les autres chez Asbat Mohammad. Chaque fois, la réfugiée pakistanaise, installée à Montréal depuis un peu moins d'un an, a eu l'impression de recevoir une tonne de briques sur la tête.

Dans ces lettres, le gouvernement conservateur de Stephen Harper annonce à Mme Mohammad qu'à partir du 30 juin, ses trois fils en bas âge et elle, qui ont tous reçu la protection du Canada, n'auront plus accès aux médicaments gratuits et ni aux soins dentaires dont ils bénéficiaient depuis leur arrivée au Canada.

Cette lettre, tous les demandeurs d'asile et les personnes protégées qui se trouvent actuellement au Canada l'ont reçue au cours du dernier mois. À la fin du mois d'avril, le ministre de l'Immigration Jason Kenney a annoncé qu'il sabrait le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) qui assurait des soins de santé aux demandeurs d'asile et aux personnes protégées par le Canada jusqu'à ce que ces derniers soient couverts par les régimes d'assurance maladie provinciaux.

Médicaments, soins de la vue, soins dentaires et consultations auprès de psychologues sont actuellement couverts par cette mesure. Mais à partir du 30 juin, la plupart de ces services gratuits disparaîtront. Seules les personnes atteintes de maladies infectieuses pouvant nuire à la santé publique du pays, dont la tuberculose et le VIH, bénéficieront des médicaments gratuitement.

Choix déchirants

Pour Asbat Mohammad, mère seule qui préfère utiliser un nom fictif pour des questions de sécurité, cette annonce prend des airs de catastrophe. Ses trois enfants sont malades et requièrent des soins tous les mois. Ses fils aîné et cadet, âgés respectivement de 10 et 4 ans, sont asthmatiques.

L'autre enfant, âgé de 8 ans, a d'importants problèmes d'eczéma à la bouche qui l'empêchaient, avant d'être traité par des dentistes montréalais, de manger convenablement. Il souffre aussi d'importantes allergies alimentaires qui obligent sa mère à avoir un injecteur d'épinéphrine (EpiPen) en sa possession en tout temps. «Par mois, les médicaments dont mes enfants ont besoin pour vivre coûtent environ 300$», note Mme Mohammad qui, pour le moment, doit payer 410$ par mois pour le loyer d'un petit 3 1/2 dans un immeuble délabré de Parc-Extension et nourrir sa famille grâce à une allocation de l'aide sociale de 965$ par mois.

«J'aime mieux vivre dans la rue que de priver mes enfants des médicaments dont ils ont besoin», dit-elle, en concédant qu'elle aura des choix extrêmement difficiles à faire si le gouvernement va de l'avant avec cette mesure. «On ne sait pas du tout ce qui va nous arriver», déplore Mme Mohammad.

Mobilisation médicale

Le médecin que les Mohammad consultent au CLSC de Parc-Extension, Juan Carlos Chirgwin, a les mêmes appréhensions que sa patiente. Tous les jours, il reçoit des demandeurs d'asile des quatre coins du monde, souvent aux prises avec des problèmes de santé - physique ou mentale - sérieux. Certains de ces maux sont liés au choc post-traumatique que vivent plusieurs demandeurs d'asile lorsqu'ils fuient leur pays.

Le docteur croit que le gouvernement fédéral met en danger la vie des demandeurs d'asile. «J'ai bien peur que certains d'entre eux décident de payer l'épicerie plutôt que les médicaments dont ils ont besoin pour soigner leur diabète ou une autre maladie grave. Au bout du compte, ces gens vont atterrir aux urgences», avertit le docteur.

M. Chirgwin tentera tant bien que mal d'aider ses patients, en leur donnant notamment des échantillons de médicaments, mais il est conscient que ces ressources ne sont pas inépuisables. «On me demande de choisir entre qui va vivre et qui va mettre sa vie en danger», laisse-t-il tomber, lors d'une entrevue dans un restaurant pakistanais du quartier dans lequel il travaille.

Le Dr Chirgwin n'est pas le seul à ne pas digérer la décision du gouvernement fédéral, qui dit pouvoir économiser quelque 100 millions en cinq ans grâce à ces coupes. Des spécialistes de la santé du pays en entier - médecins, pharmaciens, personnel infirmier - ont envoyé des lettres au premier ministre du Canada pour lui demander de revenir sur sa position.

Le 18 juin, des centaines d'entre eux comptent manifester leur désaccord dans des dizaines de villes du pays. Une pétition circule aussi sur l'internet.

«C'est une mobilisation sans précédent dans le milieu de la santé», affirme la psychologue Janet Cleveland qui se spécialise dans la recherche auprès des demandeurs d'asile à l'Université McGill. «Les gens sont tellement indignés et catastrophés par les conséquences tragiques possibles de ce changement.»

Au Québec, les ministères de l'Immigration et des communautés culturelles, de la Santé, de la Solidarité sociale ainsi que la Régie de l'assurance maladie sont en train de se concerter pour décider de la stratégie à adopter pour faire face aux coupes du fédérale.

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Programme fédéral de santé intérimaire

Avant le 30 juin

Les demandeurs d'asile, les réfugiés et les demandeurs d'asile déboutés ont accès à des services de santé semblables à ceux offerts par la carte soleil. Ils ont aussi droit au remboursement des médicaments, de soins dentaires, de soins de la vue et de services d'ambulance, tout comme les prestataires de l'aide sociale.

Après le 30 juin

Les demandeurs d'asile et les réfugiés auront droit seulement à des soins gratuits en cas d'urgence et à des médicaments gratuits s'ils sont nécessaires pour traiter une maladie présentant un risque à la santé publique. Les demandeurs d'asile provenant de pays que le Canada juge sûrs et les demandeurs d'asile déboutés auront seulement accès à des soins et médicaments gratuits en cas de maladie présentant un risque pour la santé publique.