Des analystes du ministère de la Défense minimisent l'importance de la menace que représente la Russie pour le Canada dans la région de l'Arctique.

Tandis que le premier ministre Stephen Harper et le ministre de la Défense Peter MacKay soutiennent depuis quelques années que le Canada doit demeurer «vigilant» afin de protéger sa souveraineté dans l'Arctique devant «l'agressivité» de la Russie, les analystes militaires estiment au contraire qu'il n'y a pas lieu d'appuyer sur la sonnette d'alarme.

Même si la région de l'Arctique fait déjà l'objet de convoitise avec la fonte des glaces en raison des ressources naturelles qu'elle renferme, la Russie respecte ses obligations internationales, soutiennent les analystes du ministère de la Défense dans une note obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

«Bien que plusieurs observateurs aient dit dans les médias que les gestes de la Russie peuvent être perçus comme étant provocateurs dans la région de l'Arctique, il n'y a pas lieu de s'inquiéter encore», soutient-on dans cette note datée du 29 juillet 2011.

Cette note a été rédigée à l'intention du ministre Peter MacKay et du ministre associé de la Défense, Julian Fantino.

«Il ne fait aucun doute que le potentiel économique de l'Arctique est l'une des raisons qui motivent les calculs de Moscou. Toutefois, l'environnement difficile et les longues distances rendent l'exploitation [des ressources] dans le Grand Nord extrêmement coûteuse [prohibitively expensive en anglais]», ajoute-t-on.

Certes, la Russie continue d'examiner le fond sous-marin afin de pouvoir démontrer devant l'ONU, l'an prochain, que la partie connue sous le nom de «dorsale Lomonossov» est une extension géologique de son territoire.

Mais la Russie mène ses activités en respectant les règles du jeu, tout comme le Canada ou le Danemark le font. Résultat: la Russie «ne menace d'aucune façon les intérêts du Canada», soutient-on.

Une brigade russe en 2015

Dans cette note, on relève toutefois que les autorités russes comptent déployer deux brigades dans l'Arctique. Une première brigade d'infanterie motorisée sera déployée en 2015. Ces brigades seront dotées de blindés polyvalents à chenilles MT-LBV.

«Ces mesures [...] visent à sécuriser les frontières russes donnant sur l'Arctique», peut-on lire dans la note.

Depuis qu'il est au pouvoir, Stephen Harper a fait de la protection de la souveraineté canadienne dans le Grand Nord l'une de ses priorités. Il se rend chaque été dans cette région afin d'annoncer de nouveaux projets destinés à augmenter la présence canadienne dans la région.

Son gouvernement a annoncé des milliards de dollars pour acquérir des brise-glace, des navires de patrouille ou pour construire une base navale et de ravitaillement à Nanisivik, dans l'île de Baffin. On compte aussi faire passer de 900 à 5000 hommes l'effectif de rangers.

Le gouvernement Harper a souvent accusé la Russie d'accroître son activité aérienne dans l'Arctique. En août 2010, deux bombardiers russes Tu-95 ont volé à seulement une trentaine de milles nautiques du territoire aérien canadien avant de rebrousser chemin. Deux CF-18 ont été envoyés à leur rencontre et les avions russes ont fait demi-tour.

L'événement avait été annoncé en grande pompe par le bureau du premier ministre. Mais NORAD avait par la suite minimisé l'importance de cette affaire.

Selon le député néo-démocrate Jack Harris, les notes obtenues par La Presse démontrent que le gouvernement exagère la menace russe. «Cela confirme ce que nous pensons depuis le début. Le discours que tient le gouvernement ne correspond pas à la réalité. Il tente seulement de justifier des dépenses militaires qui pourraient mener à la militarisation de l'Arctique. Il faut éviter cette voie à tout prix», a dit M. Harris.

Des menaces exagérées?

Le président de l'Institut Rideau, Steven Staples, abonde dans le même sens. «Nous avons toujours cru que le gouvernement Harper exagère la menace russe pour justifier l'achat d'équipement militaire comme les F-35, qui ne sont pas des avions adéquats pour le pays», a dit M. Staples.

Mais une source gouvernementale qui a requis l'anonymat a soutenu que la menace russe n'est pas un leurre. «On a juste à penser aux avions russes qui viennent à proximité de notre territoire et aux brigades russes qui seront déployées pour s'en convaincre», a-t-on affirmé.

Convoités par les cinq pays riverains (États-Unis, Russie, Canada, Norvège et Danemark), les fonds sous-marins de l'Arctique pourraient receler 13% des réserves de pétrole et 30% des réserves de gaz naturel non découvertes de la planète, selon les services géologiques des États-Unis.

Le Canada affirme détenir la souveraineté sur le passage du Nord-Ouest - qui relie l'Atlantique au Pacifique par le nord -, tandis que d'autres pays considèrent ce passage comme une voie de navigation internationale.

- Avec William Leclerc