«Si tu veux la paix, prépare la guerre.» Depuis que le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, a déclaré en décembre que les Canadiens sont prêts à se prononcer sur le bilan du gouvernement Harper, les conservateurs sont sur un pied de guerre.

Pour assurer leur survie à la Chambre des communes, ils préparent minutieusement la prochaine campagne électorale. Vaste offensive publicitaire pour dénoncer le chef libéral; efforts des ministres pour convaincre les Canadiens que le gouvernement Harper se soucie davantage de relancer l'économie que de plonger le pays dans de nouvelles élections; multiplication d'annonces d'investissements dans toutes les régions du pays; rien n'est laissé au hasard pour séduire les électeurs et faire reculer leurs adversaires tentés par un scrutin printanier.

Cette stratégie se poursuivra à la reprise des travaux parlementaires, lundi, et jusqu'à la présentation, en mars, du budget qui déterminera l'avenir du gouvernement conservateur.

Stephen Harper a célébré le 23 janvier le cinquième anniversaire de son élection comme premier ministre. Il détient maintenant le record de longévité à la tête d'un gouvernement minoritaire, détenu jusque-là par le libéral Lester B. Pearson.

M. Harper et ses troupes répètent qu'ils ne veulent pas d'élections au printemps. Mais le gouvernement pourrait perdre le vote de confiance sur le budget. Le défi de M. Harper est donc double: il doit assurer la survie de son gouvernement, mais aussi la sienne propre, politiquement parlant. En effet, s'il ne conduit pas son parti à une victoire majoritaire au prochain scrutin, ses jours à la tête du Parti conservateur seront comptés. Certains de ses députés le disent en privé, et de proches collaborateurs croient aussi qu'un autre gouvernement minoritaire ne sera pas suffisant pour M. Harper.

«S'il n'arrive pas à obtenir une majorité aux prochaines élections, tout le monde s'attend à ce qu'il parte dans un horizon de 12 mois», estime un député conservateur qui a requis l'anonymat.

Une course à la direction du Parti conservateur entraînerait son lot de divisions et de changements. Un autre chef pourrait soit donner un nouveau souffle au parti et lui permettre de s'enraciner comme le prochain natural governing party, soit donner la chance au Parti libéral de reprendre le pouvoir.

Dans l'intervalle, trois dossiers devraient dominer la prochaine session parlementaire: l'économie, l'environnement et la justice.

En matière d'économie, le gouvernement Harper subira encore des pressions pour injecter de nouvelles sommes dans la relance de l'économie. Mais les conservateurs ne croient pas que cela soit justifié même si la reprise mondiale demeure fragile, et ils veulent rétablir l'équilibre budgétaire d'ici à 2015. Le prochain budget du ministre Jim Flaherty sera donc déterminant. Une gestion plus serrée des dépenses est le mot d'ordre dans tous les ministères.

Le gouvernement Harper a promis de venir à bout du déficit, qui frisera les 45 milliards de dollars en 2010-2011, sans augmenter les impôts et sans réduire les transferts aux provinces.

Dans le dossier de l'environnement, Stephen Harper et ses ministres s'évertuent à défendre, au Canada comme à l'étranger, la lucrative et polluante industrie des sables bitumineux. Le nouveau ministre de l'Environnement, Peter Kent, a donné le ton aux échanges à venir aux Communes en déclarant que les sables bitumineux produisent un pétrole «éthique».

Mais le Parti libéral, le NPD et le Bloc québécois, de même que les environnementalistes, affirment que le gouvernement conservateur doit respecter les accords de Cancún, signés en décembre dernier. La communauté internationale se rencontre à nouveau à Durban, en Afrique du Sud, à la fin de 2011 et les pays cancres (comme le Canada) devront rendre des comptes.

L'industrie des sables bitumineux poursuit sa rapide expansion sans aucune contrainte. Et les environnementalistes clament que les quelques règlements annoncés par Ottawa ne seront pas suffisants pour atteindre les objectifs à long terme de réduction des gaz à effet de serre (déjà jugés très minces) adoptés après la Conférence des Nations unies à Copenhague.

Ottawa martèle depuis des mois que, pour des raisons économiques, il doit attendre que les États-Unis agissent avant de le faire lui-même; paradoxalement, il refuse d'instaurer une réglementation pour limiter les émissions de GES dans les nouvelles constructions industrielles polluantes alors que les États-Unis, eux, vont de l'avant.

En matière de justice criminelle, le gouvernement Harper compte maintenir le cap malgré les nombreuses critiques de criminologues, juges, avocats ou spécialistes du milieu carcéral.

Les stratèges conservateurs estiment même que ces critiques les aident sur le plan politique et sur le plan financier. Le Parti conservateur n'hésite pas à expédier des lettres à ses membres pour solliciter des fonds en invoquant le travail inachevé en matière d'ordre public.

Pas étonnant, donc, que le tiers des projets de loi inscrits au feuilleton touchent l'ordre public, notamment les mesures destinées aux jeunes contrevenants (une réforme vivement dénoncée au Québec lors des dernières élections) et les délais d'admissibilité à la libération conditionnelle des détenus coupables de meurtre.

Dans un tel contexte, les partis de l'opposition, eux, sont souvent pris entre l'arbre et l'écorce. D'un côté, ils sont tentés de critiquer l'approche idéologique, voire électoraliste, du gouvernement Harper. Mais de l'autre, ils doivent combattre les attaques des conservateurs qui les accusent de faire preuve de laxisme à l'égard des criminels.

Mais les libéraux semblent avoir trouvé une faille dans la stratégie des conservateurs: les dépenses énormes engendrées par les réformes du gouvernement Harper en matière de justice. Selon le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, la Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, qui vise à mettre un terme à la pratique courante qui consiste à compter en double le temps passé en détention provisoire, pourrait coûter jusqu'à 10 milliards de dollars en cinq ans aux gouvernements fédéral et provinciaux. Toutefois, le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews évalue les coûts à 2,1 milliards de dollars.

Élections printanières ou non, ce thème continuera de provoquer de vifs échanges dans les prochains mois, d'autant plus que le gouvernement refuse toujours de dévoiler la facture totale liée à tous ces changements.