Après qu'il eut rendu un témoignage qualifié de mensonger par plusieurs membres excédés d'un comité parlementaire jeudi, le processus d'outrage au parlement vient d'être enclenché contre l'ex-député conservateur Rahim Jaffer.

Le comité chargé d'examiner les allégations de trafic d'influence qui pèsent contre lui a déposé en chambre, jeudi après-midi, un rapport indiquant que son comportement est un cas possible d'outrage, recommandant au Parlement de prendre les mesures appropriées.

«C'est une mesure très inhabituelle. Très puissante aussi», a déclaré après le dépôt du rapport le député néo-démocrate Nathan Cullen, l'un de ceux qui siège au comité qui a entendu M. Jaffer témoigner.

Le rapport recommandant l'outrage se base sur deux faits importants: l'omission de M. Jaffer de fournir certains documents au comité et son témoignage rempli de contradictions manifestes, a expliqué M. Cullen.

Cela n'aura pris que 15 minutes pour que les députés s'entendent sur le rapport.

Pour le bloquiste Michel Guimond, son contenu s'imposait aux membres du comité.

«Rahim Jaffer, il ment comme il respire. Écoutez: "J'ai jamais utilisé le bureau de ma femme, j'ai jamais utilisé les courriels, juste une fois..." C'est un tissu de mensonges», s'est-il exclamé, ajoutant être convaincu que M. Jaffer a fait du lobbyisme illégal.

Accusé d'avoir utilisé ses contacts en tant qu'ex-député et aussi en tant que mari d'Helena Guergis -alors ministre au sein du gouvernement conservateur- pour avoir un accès privilégié à des ministres pour promouvoir ses propres affaire et celles de clients potentiels, M. Jaffer a maintenu qu'il n'a jamais agi comme lobbyiste et qu'il n'avait jamais eu l'intention de le faire.

Il a expliqué qu'il n'avait pas encore déterminé la nature exacte de l'entreprise qu'il voulait mettre sur pied, et n'avait pas accepté de contrat, ni d'argent, pour les démarches qu'il effectuait.

Donc, aucun besoin de s'inscrire au registre des lobbyistes, raisonne-t-il.

Une explication que les membres du comité n'ont pas avalée. Pour eux, pas besoin d'avoir eu de l'argent pour être en train de faire du lobbying. Et il faut s'inscrire dès que l'on entreprend des démarches, qu'elles soient couronnées de succès ou non.

On reproche plus spécifiquement à M. Jaffer d'avoir utilisé un bureau gouvernemental et une adresse courriel de sa femme, en plus d'un passeport diplomatique de député pour ses voyages d'affaires. Tout cela, après qu'il eut cessé d'être député et tentait de mettre sur pied une entreprise.

Un bureau et une adresse de messagerie utilisés seulement à des fins personnelles et sociales, explique-t-il. Un passeport qui n'a jamais été utilisé pour ses voyages d'affaires, et qu'il a depuis perdu, ne pouvant ainsi le remettre au comité.

Rahim Jaffer critique son ancien parti

Ce n'était pas le premier témoignage de M. Jaffer devant ce comité parlementaire. Ses nouvelles explications n'ont convaincu personne, mais l'ex-député conservateur a profité de son passage au comité pour critiquer publiquement -et durement- son ancien parti.

Accusé par l'un des députés conservateurs d'avoir failli aux plus hautes normes auxquels les Canadiens s'attendent, M. Jaffer a eu un petit rire sarcastique avant de répliquer.

«Le parti conservateur que j'ai devant moi n'est pas le parti que j'ai joint en 1997. On prenait le parti de la démocratie. De la liberté. La façon dont ma femme a été traitée par votre parti et votre gouvernement ne représente pas ce en quoi je crois et pour quoi j'ai travaillé quand j'étais député», a-t-il expliqué calmement.

«Vous voulez parler de déception? Ça, c'est de la déception», leur a-t-il lancé.

«Je ne reconnais plus ce parti», a conclu M. Jaffer, rappelant que depuis que sa conjointe a été éjectée du caucus conservateur, elle n'a pas été informée des accusations qui pèsent contre elle, ni eu la chance de laver son nom.

Mais ces critiques ne semblent pas affecter les conservateurs au comité.

«Nous avons démontré que les préoccupations principales de notre gouvernement sont la transparence totale, la responsabilité et l'honnêteté. S'il n'est pas à l'aise avec cela, moi, ça me convient tout à fait», a déclaré le député conservateur Chris Warkentin.

Selon lui, les travaux du comité ont permis de démontrer que le système fonctionne, parce que M. Jaffer n'a pas reçu d'argent du gouvernement pour les projets dont il cherchait à faire la promotion.

Le bloquiste Michel Guimond a fait remarquer après la séance du comité que les conservateurs «ne veulent plus s'approcher de M. Jaffer, il est selon eux contaminé».

«Vous aviez des amis avant, mais peut-être un peu moins maintenant après ce que vous avez dit sur le parti conservateur», a renchéri le député bloquiste Richard Nadeau.

Quant à M. Jaffer, il a poliment décliné les questions des journalistes.

Mais lors de son témoignage, montrant de la méfiance envers les travaux du comité, il a déclaré s'en remettre au travail de l'experte dans ce domaine, soit la commissaire au lobbyisme, qui enquête sur ses activités.

Avec le dépôt du rapport, le président de la Chambre des communes devra décider si Rahim Jaffer a bel et bien commis un outrage au parlement.

Mais il faudra attendre l'automne pour connaître le dénouement de cette affaire.

Et pour Nathan Cullen, l'histoire ne se termine pas là: «Cela va au-delà de Rahim Jaffer. Il faut voir à quels ministres il a parlé, quels engagements ils ont pris et s'ils savaient qu'ils faisaient l'objet de lobbyisme illégal», a t-il dit.