Les récentes prévisions selon lesquelles les minorités visibles domineront la population des villes canadiennes n'étonnent pas les stratèges politiques des trois plus importants partis au Canada, qui se livrent déjà une lutte acharnée pour obtenir leurs votes.

Ainsi, les partis politiques nationaux élaborent tous des stratégies dynamiques pour séduire ces populations immigrantes, croyant détenir, grâce à leur appui, la clé du pouvoir aux prochaines élections. C'est d'ailleurs l'avis du sociologue Keith Banting, de l'Ecole des politiques publiques de l'Université Queens à Kingston, en Ontario.

«Les minorités visibles seront au coeur des prochaines élections», a-t-il soutenu.

Statistique Canada estime que d'ici 2031, environ la moitié des Canadiens de 15 ans et plus seront nés à l'étranger ou auront au moins un parent né à l'extérieur du Canada.

Le nombre d'immigrants aura vraisemblablement doublé d'ici là et la majorité d'entre eux vivront en ville, particulièrement à Montréal, Toronto et à Vancouver. Le spécialiste des sondages et président de la firme Harris-Decima, Allan Gregg, parle même de redéfinition de la carte politique au pays.

Les populations immigrantes représentent donc un terreau fertile pour ces partis et ce, particulièrement depuis que le lien qui unissait les nouveaux venus avec les libéraux a été brisé.

En effet, lors des dernières élections, les libéraux ont vu leur appui leur glisser des mains au bénéfice des conservateurs dans les banlieues. Ces derniers ont d'ailleurs connu leurs gains les plus importants dans les circonscriptions où vivent d'importantes populations d'immigrants, souligne M. Gregg.

Ce dernier croit d'ailleurs que le Parti libéral a commis l'erreur cruciale de tenir cette population pour acquis et n'a pas réalisé à quel point elle aussi se transformait et, conséquement, avait des besoins et des aspirations différentes.

Les libéraux se fiaient sur les immigrants européens, qui représentaient l'essentiel du flot des nouveaux arrivants au Canada au cours des dernières années. Mais de nos jours, les nouveaux arrivants viennent surtout de l'Asie et amènent avec eux de nouvelles valeurs.

Les conservateurs ne ménagent pas leurs efforts devant ces nouvelles réalités. Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, mène la course, ratant rarement une occasion de participer à un événement culturel ou à accorder une entrevue à un représentant de la presse ethnique.

Aux élections de 2006, la stratégie conservatrice était d'entrer en contact avec les grandes communautés ethniques et de tenter d'établir un lien de confiance et de compréhension avec eux en accordant une attention spéciale à leurs demandes particulières.

Les conservateurs ont décidé, après les élections de 2008, de s'attaquer également aux petites communautés et de voir au-delà de l'ethnicité. Ainsi, aidés d'une équipe en communication et bénéficiant d'un financement important, le parti de Stephen Harper s'est concentré sur les valeurs conservatrices qui émergeaient de ces propriétaires de petites entreprises et de ces familles tricotées serrées qui caractérisent plusieurs des groupes ethniques qui ont révolutionné les banlieues canadiennes.

Les circonscriptions des banlieues de Toronto et de Vancouver sont la cible principale des conservateurs mais ils espèrent pénétrer aussi dans la ville Reine et s'emparer d'un bastion libéral.

Selon Allan Gregg, de Harris-Décima, avec cette stratégie, les conservateurs marchent sur des oeufs puisque bon nombre d'immigrants ne se définissent pas nécessairement par leur identité culturelle.

C'est pourquoi les libéraux, alarmés par le lente érosion du vote ethnique à l'égard de leur parti, disent avoir choisi une approche différente. Ils sont convaincus que leur vision d'un avenir plus prometteur pour le Canada est quelque chose qui résonne davantage chez les immigrants et aussi, chez les Canadiens de longue date.

Les néo-démocrates ne sont pas exclus de cette quête au vote ethnique. Comme les libéraux, ils se concentrent sur la nécessité de créer des emplois, stabiliser le filet de la sécurité sociale au pays et s'occuper des personnes âgées.

Les conservateurs affirment que leurs principaux rivaux sur le terrain sont les néo-démocrates et ces derniers disent la même chose du parti conservateur. Les deux partis s'entendent au moins sur une chose: ils ne se sentent pas menacés par les libéraux.