(Ottawa) Les premiers chiffres sont sortis du four et ils n’ont pas de quoi repaître les libéraux. Eux qui auront bientôt consacré un mois à mousser le contenu du budget préparé sur mesure pour les milléniaux et la génération Z ne semblent pas en récolter les fruits. Autopsie de la recette libérale.

Un écart qui persiste

Le budget n’y a rien changé : avec 24 % d’intentions de vote, les libéraux demeurent très loin derrière les conservateurs, à 43 %, démontre un sondage Ipsos⁠1 publié mardi. Et qu’a-t-on pensé de cet exercice financier ? Il a inspiré un haussement d’épaules (43 %) ou deux pouces en bas (40 %) contre seulement 17 % d’avis favorables, d’après ce coup de sonde commandé par Global News. Si les troupes de Justin Trudeau espèrent rétrécir l’écart de 5 % par tranche de six mois dès juillet, comme le rapportait le Globe and Mail dans son édition du week-end, il y a encore du chemin à faire.

« C’est certainement possible », croit toutefois Dan Arnold, stratège à la firme Pollara Strategic Insights. D’autant plus qu’un budget à lui seul fait rarement bouger l’aiguille, note l’ancien sondeur du Parti libéral. « Quand j’étais au bureau du premier ministre, on commandait des sondages après le dépôt du budget, et ils montraient que 40 % des gens en avaient entendu parler, mais que seulement 2 ou 3 % pouvaient nommer une ou deux mesures spécifiques. »

Prêcher dans le désert ?

D’où le battage médiatique prébudgétaire qui s’est mis en branle le 27 mars dernier. « Les libéraux n’avaient pas le choix de mettre le paquet sur ce budget-là et se réapproprier le discours qui était véritablement entre les mains de l’opposition », fait valoir Stéphanie Chouinard, professeure agrégée de science politique au Collège militaire royal du Canada. Sa lecture est partagée par Fred DeLorey, directeur de la campagne nationale du Parti conservateur en 2021. « Leur stratégie se comprend parce qu’ils se font écraser en ce moment. Alors en ce sens, c’était la bonne chose à faire. Si les chiffres ne bougent pas, il y aura un problème. Cela voudra dire que les gens n’écoutent plus Justin Trudeau », avance-t-il.

Autre hic : « de moins en moins de Canadiens suivent les médias traditionnels » – bref, ceux qui couvraient les annonces prébudgétaires –, et « les libéraux n’ont pas les moyens de se payer des publicités sur les réseaux sociaux, contrairement aux conservateurs », renchérit Stéphanie Chouinard. « Je pense qu’ils sont conscients qu’un changement d’approche s’impose », constate pour sa part Lori Turnbull, professeure au département de gestion de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse.

Longue campagne électorale budgétaire

Whitehorse, Saskatoon, Edmonton, Toronto, Thunder Bay, La Tuque : les ministres étaient éparpillés aux quatre coins du pays, mardi, pour assurer ce que l’on appelle le service après-vente du budget. Si ce mois à sillonner le pays aura un coût pour les contribuables, il ne contrevient pas pour autant aux règles de financement, s’entendent les experts interrogés. « Le budget est un outil à leur disposition », argue Dan Arnold. « Tous les gouvernements le font et tous les gouvernements devraient le faire. Je ne vois aucun problème avec cela », abonde Fred DeLorey.

De toute manière, ce serait « très difficile à réglementer », fait remarquer Lori Turnbull. « La ligne est mince entre ce qui est politique et ce qui constitue un service public. Mais il m’apparaît qu’il y a une distinction à faire entre la présentation d’une nouvelle mesure et une campagne publicitaire pour vanter un programme existant », croit-elle. En 2015, alors qu’il était ministre, Pierre Poilievre s’était fait reprocher le port d’un polo orné du logo conservateur au moment de faire la promotion de la prestation pour la garde d’enfants.

Des munitions électorales ?

Il y a dans ce budget que les ministres trimballent au pays des dizaines de milliards en dépenses. Que restera-t-il comme cartouches quand les hostilités électorales seront lancées ? « On a créé des wedges [clivages] avec l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital, le programme alimentaire scolaire et l’accès gratuit aux méthodes contraceptives », détaille une source libérale qui a requis l’anonymat, n’étant pas autorisée à discuter ouvertement de stratégie.

« Je ne pense pas qu’ils auront beaucoup plus à offrir lors de la prochaine campagne, même si je suis certain qu’ils trouveront autre chose », analyse Dan Arnold. Et si les mesures ne sont pas suffisamment clivantes, il restera toujours le contraste entre Justin Trudeau et Pierre Poilievre à souligner à gros traits, conclut-il.

⁠1 Le sondage a été réalisé en ligne les 17 et 18 avril auprès d’un échantillon de 1000 adultes. Sa marge d’erreur est de ± 3,8 points de pourcentage, 19 fois sur 20. Des quotas et une pondération ont été utilisés pour garantir que la composition de l’échantillon reflète celle de la population canadienne, selon Ipsos.