S’il salue la réforme que prépare Québec pour construire plus vite et à moindre coût, le plus grand syndicat de construction de la province s’inquiète néanmoins que ces changements en profondeur risquent de se faire « sur le dos des travailleurs ».

« On n’est pas contre la vertu de moderniser les lois, mais pas à n’importe quel prix », lance le directeur général de la FTQ-Construction, Éric Boisjoly, en entrevue téléphonique.

Plus tôt, mardi, le chroniqueur Maxime Bergeron révélait que Québec aimerait construire de 20 à 25 % plus vite et payer de 15 à 20 % moins cher ses chantiers d’infrastructure. Le gouvernement prépare d’ailleurs une réforme gigantesque afin de tenter d’atteindre ces gains d’efficacité.

Une série de mesures devrait voir le jour d’ici juin pour créer plus de concurrence dans le milieu de la construction, en s’éloignant du modèle traditionnel du plus bas soumissionnaire. Objectif : faire plus de place aux modèles « collaboratifs » qui impliquent plusieurs acteurs. L’idée, saluée dans l’industrie, va de pair avec la future agence des transports que Québec veut mettre sur pied cet automne.

D’un côté, Éric Boisjoly parle d’une « très bonne nouvelle » pour la règle du plus bas soumissionnaire, qui impose « plusieurs embûches » aux constructeurs. Mais de l’autre, il appréhende toutefois que cette réforme fragilise ses membres.

« Il n’y a rien là-dedans qui traite de la rétention de la main-d’œuvre, ce qui est, selon nous, le grand enjeu. Et cette réforme, c’est sûr que ça pourrait fragiliser encore davantage l’employabilité régionale. Quand on tourne les coins ronds, c’est souvent sur le dos des travailleurs, sur les règles de santé et de sécurité. On ne coupe jamais dans les profits », dit le leader syndical.

Ses propos contrastent avec ceux de l’industrie, qui salue l’arrivée de cette réforme. « Il y a un désintérêt clair des entrepreneurs face au marché public en raison du délai de paiement, du manque de collaboration et des clauses abusives », a notamment illustré l’avocate et directrice générale de l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure (AQEI), Caroline Amireault, qui espère un « changement de cap ».

Certains grands acteurs, comme AtkinsRéalis – anciennement SNC-Lavalin –, ne soumissionnent plus depuis un moment pour des contrats à prix fixes en raison de leur lourdeur. En 2022, l’entreprise avait d’ailleurs révélé que les contrats à prix fixes lui ont fait perdre 821 millions, soit l’équivalent de 42 % de ses revenus dans ce secteur, en seulement deux ans.

En pleines consultations

Tout ce débat survient alors que les consultations sur le projet de loi 51, qui vise à moderniser l’industrie de la construction, débutent mardi à l’Assemblée nationale sur fond de grogne des syndicats. Le ministre du Travail, Jean Boulet, assure que « tout ce qui est dans le projet de loi est ouvert à la discussion ».

Le projet de loi 51, qui avait été déposé en février dernier par le ministre du Travail, vise essentiellement à assurer une plus grande mobilité des travailleurs entre les régions du Québec et à accroître la polyvalence des travailleurs en permettant un partage de tâches entre certains métiers.

Jusqu’ici, les règles de priorité d’embauche régionale font qu’un employeur qui décroche un contrat dans une autre région que la sienne peut y emmener un nombre limité de ses travailleurs réguliers. Il doit aussi embaucher des travailleurs dans la région où il a décroché ce contrat.

Avec La Presse Canadienne