Évoquant un climat politique difficile dans sa ville, mais aussi pour tous les élus municipaux, la mairesse de Gatineau, France Bélisle, a annoncé sa démission jeudi matin, disant vouloir préserver sa santé. Une décision qui a provoqué une onde de choc dans le monde municipal.

Très émue en livrant son discours devant les médias, Mme Bélisle a invité le gouvernement du Québec à réfléchir « sur cet exode des élus municipaux, mais aussi sur toutes les élections par acclamation » dans les municipalités de la province.

« Je pense qu’il faut toutes et tous s’inquiéter d’un service public qui n’a plus la cote », a-t-elle souligné.

« Depuis les dernières élections municipales au Québec, sur 8000 élus, près de 800 ont quitté leurs fonctions, des hommes et des femmes, et c’est du jamais vu dans la province », a-t-elle rappelé.

Bien des raisons poussent un élu à partir : la désillusion, l’intimidation, les ressources insuffisantes, la pression intense, les tensions entre les élus eux-mêmes, la complexité des dossiers, la crise climatique, le traitement médiatique. Bref, les défis auxquels nous sommes confrontés sont immenses.

France Bélisle, mairesse démissionnaire de Gatineau

La mairesse démissionnaire, qui dirigeait l’une des plus grandes villes du Québec, a évoqué les problèmes de santé d’autres élus.

« On peut penser aux congés de maladie de certains de mes collègues, comme le maire de Trois-Rivières, la mairesse de Sherbrooke, au malaise, l’automne dernier, de la mairesse de Montréal ou encore à la démission de la mairesse de Chapais. Tout ça m’a habitée dans ma réflexion et m’a beaucoup ébranlée », a-t-elle dit, d’une voix cassée par les sanglots.

Menaces de mort

Le rôle de mairesse a été son travail le plus magnifique, mais aussi le plus difficile de sa vie, a-t-elle avoué, dénonçant des « attaques personnelles », « des menaces de mort par certains membres du public », un climat hostile, de la partisanerie et des luttes de pouvoir qui ont hypothéqué sa santé.

Les politiciens ont « une image de battants, de tough, qui commande une carapace, qui fait qu’on doit être Teflon, donner des coups et accepter de prendre des baffes », a-t-elle déploré.

Mme Bélisle a plaidé pour un meilleur accompagnement des élus municipaux, qui auraient besoin de meilleures formations en éthique et déontologie, en finances municipales et en gestion des fonds publics, selon elle.

Cette démission survient alors que de nombreux politiciens dénoncent les difficultés auxquels ils se heurtent et parlent publiquement de leur épuisement, comme l’a mentionné France Bélisle. Plusieurs déplorent le fait que les réseaux sociaux permettent à des citoyens mécontents de les calomnier.

Un rapport remis en avril 2023 à la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, mettait en lumière le cyberharcèlement vécu par certains d’entre eux. « Le harcèlement peut être indirect et prendre la forme d’insinuations par exemple. Il peut aussi être direct et être réalisé via des insultes, des menaces, de l’intimidation et de l’humiliation. Les élus peuvent aussi être discrédités et dénigrés. On peut divulguer leurs informations personnelles (doxxing). Enfin, ces personnes peuvent être agressées physiquement », concluait l’étude.

Tâche lourde à porter

Lors des dernières élections, en novembre 2021, 4285 candidats ont été élus sans opposition dans les conseils municipaux de la province, dont 541 maires sur les 1102 postes à pourvoir, soit près de la moitié des maires au Québec. En 2017, quelque 534 maires avaient été élus par acclamation.

De plus, 122 postes, dont 10 postes de maires, étaient demeurés vacants au terme de la période de candidatures.

« C’est de plus en plus difficile dans le monde municipal », confirme Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et maire de Varennes, en banlieue de Montréal. « La population se retourne de plus en plus vers ses élus municipaux, et ça devient parfois lourd à porter. Que ce soit pour avoir une place en garderie, une place à l’école, un médecin de famille. [Les citoyens] nous croisent à l’épicerie tout le temps. »

M. Damphousse dénonce lui aussi le harcèlement et l’intimidation dont sont victimes les élus, surtout les femmes. « Les commentaires envers les femmes sont pires, plus vicieux, plus [agressants] », dénonce-t-il.

Le président de l’UMQ a loué l’engagement politique de Mme Bélisle et sa détermination. « Son ouverture et sa grande empathie en font une figure marquante du monde municipal, toujours prête à apporter des changements et à défendre les valeurs d’égalité et les causes sociales, même dans les contextes les plus difficiles », a-t-il dit.

Climat acrimonieux : la part des choses

France Bélisle a été élue mairesse de Gatineau pour la première fois en novembre 2021, devenant la première femme à occuper ce poste. Elle s’était présentée comme indépendante, faisant face à un parti d’opposition, Action Gatineau, avec lequel elle a souvent eu maille à partir.

Certains observateurs ont souligné que France Bélisle ne faisait pas l’unanimité dans son milieu et pouvait attiser le climat acrimonieux qui régnait au conseil municipal, où siègent 8 conseillers d’Action Gatineau et 12 indépendants. Ses commentaires acerbes ont souvent soulevé la controverse.

« Elle avait de la difficulté à former des alliances durables avec des conseillers. Il y avait des différences idéologiques claires et nettes, alors ce n’est pas surprenant qu’il y ait eu des prises de bec », observe Guy Chiasson, professeur de science politique à l’Université du Québec en Outaouais et expert de la politique municipale en Outaouais.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

France Bélisle avec, entres autres, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, et le maire de Québec, Bruno Marchand, au Sommet sur la fiscalité municipale, à Montréal en septembre dernier.

Jeudi, la mairesse de Montréal s’est dite touchée par la démission de sa collègue de Gatineau. « Ça m’attriste, c’est sûr. France, c’est une collègue précieuse », a-t-elle dit. « Elle fait partie de la nouvelle génération de maires et de mairesses, alors ça m’amène à me questionner. »

« Le climat social n’est pas facile de façon générale », a-t-elle ajouté. « Les maires et les mairesses, on habite dans notre ville, les gens viennent nous voir dans nos conseils d’arrondissement, nos conseils de ville. C’est vrai que ça peut être difficile. On prend ça à cœur. »

France Bélisle a quitté son poste dès jeudi. C’est le conseiller municipal Daniel Champagne qui la remplace pour le moment.

Avec Philippe Teisceira-Lessard et Maxime Bergeron, La Presse

Québec a déjà « fait sa part » pour contrer l’exode

Le gouvernement Legault a déjà « fait sa part pour soutenir les élus », selon la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, qui répond à l’appel de la mairesse démissionnaire de Gatineau, France Bélisle. Des changements doivent plutôt être réalisés « de l’intérieur » des conseils municipaux, a dit la ministre sur les réseaux sociaux. « Un climat malsain dans un conseil municipal ne doit pas être toléré », a-t-elle ajouté. Mme Laforest a souligné que, depuis son arrivée en poste en 2018, elle avait « pris de nombreuses mesures et mis en place des outils à la disposition des élus pour favoriser le respect et la civilité ». Une annonce concernant le soutien des élus est d’ailleurs prévue la semaine prochaine, a-t-on indiqué.

Fanny Lévesque et Charles Lecavalier, La Presse