(Québec) Avec l’adoption de sa loi sur l’habitation, la ministre France-Élaine Duranceau vient officiellement réduire la portée de la cession de bail, mais elle donne également des « superpouvoirs » aux villes pour bâtir des logements plus rapidement et ajoute à la loi un dédommagement lorsqu’un propriétaire évince un locataire, par exemple.

La controverse de la cession de bail

Dès le dépôt de son projet de loi en juin 2023, la ministre responsable de l’Habitation avait créé la controverse avec sa volonté de s’attaquer à la cession de bail. Pour les organismes de défense des droits des locataires, il s’agit d’une rare mesure de « contrôle des loyers » en pleine crise du logement, alors que le coût de l’habitation grimpe en flèche.

Auparavant, un locataire pouvait choisir de céder son bail à une autre personne. Le propriétaire ne pouvait refuser qu’avec un motif sérieux, par exemple, son insolvabilité. Maintenant, le propriétaire pourra refuser et récupérer le logement pour y effectuer des travaux, par exemple. Les organismes craignent que cela mène à des hausses de loyer.

Pour la ministre Duranceau cependant, ce « n’est pas au locataire de contrôler la hausse du loyer pour la personne suivante ». Elle a été la cible de nombreuses critiques en déclarant, lors d’une entrevue à Noovo, qu’un « locataire qui veut faire ça, qu’il investisse en immobilier », mais elle a gardé le cap et conservé cette mesure.

Des « superpouvoirs » aux maires pour construire plus de logements

L’étude du projet de loi 31 a été particulière. Après la tenue de consultations publiques, la commission a suspendu ses travaux en octobre dernier, et la ministre Duranceau a ajouté plusieurs articles au projet de loi.

Avec l’un de ces amendements, elle va donner un « superpouvoir » aux villes : celui de passer outre la « mélasse » des règlements d’urbanisme pour mettre un frein au « pas dans ma cour » et autoriser à grande vitesse la construction de logements, notamment en hauteur. Les partis de l’opposition ont dit craindre l’apparition de verrues urbaines et un retour du favoritisme et de la collusion. Québec a l’appui des maires, qui ont applaudi l’initiative.

Dédommagement d’un mois de loyer par année

Le projet de loi va obliger le propriétaire évinçant un locataire à le dédommager à hauteur d’un mois de loyer par année d’habitation continue dans le logement, avec un minimum de 3 mois et un plafond de 24 mois, auquel s’ajoute des « frais raisonnables de déménagement ».

C’est également le propriétaire qui aura désormais la responsabilité d’aller justifier sa décision d’expulser un locataire en allant devant le Tribunal administratif du logement. Il s’agit donc d’un renversement du fardeau de la preuve. C’est ce qui avait fait dire à France-Élaine Duranceau que les partis de l’opposition devront porter le « fardeau » des locataires en situation d’éviction.

« Si le projet de loi n’est pas accepté avant le mois de janvier, ils [les partis de l’opposition] porteront le fardeau sur leurs épaules au moment où les avis de renouvellement de baux vont commencer à rentrer. Ils porteront le fardeau sur leurs épaules qu’on n’est pas là pour protéger les gens qui sont en difficulté », avait lancé la ministre responsable de l’Habitation en octobre dernier.

Autre mesure punitive : la loi veut dissuader les propriétaires de faire gonfler les loyers en les menaçant d’une amende s’ils ne remplissent pas la « clause G », où ils doivent indiquer le prix le plus bas payé pour le loyer lors des 12 derniers mois. S’ils ne le font pas, ils pourraient maintenant recevoir une amende.

Pas d’élargissement à la « loi Françoise David »

Malgré les tentatives de Québec solidaire, la ministre Duranceau a refusé les amendements pour élargir la portée de la « loi Françoise David » pour mieux protéger les aînés d’une expulsion. Des groupes de défense des droits des personnes aînées comme la FADOQ faisaient également la demande d’élargir la loi en abaissant les seuils d’admissibilité à 65 ans à cinq ans de location et en rehaussant le revenu admissible prévu par la loi. La ministre Duranceau a justifié ce refus en affirmant que sa loi met en place des mécanismes pour protéger l’ensemble des locataires contre les expulsions, peu importe leur âge.

Prévisibilité pour les baux des nouveaux logements

Avec sa loi, la ministre Duranceau va forcer les propriétaires de constructions neuves à « assurer une prévisibilité » à leurs locataires en leur indiquant dès la signature du premier bail « les augmentations auxquelles ils pourraient s’attendre pour les cinq premières années », indique son bureau. Auparavant, la « clause F » leur permettait d’augmenter les baux sans restriction pendant cinq ans, pour amortir les coûts de constructions imprévus.