Dans le cadre des vérifications qu’a demandées François Legault, le sous-ministre Stéphane Le Bouyonnec a nié avoir encore un lien financier avec l’entreprise de prêts à hauts taux d’intérêt Finabanx. Exactement l’inverse de ce qu’il a dit à La Presse, ainsi qu’à un ancien coactionnaire de l’entreprise, dans un courriel de 2021 déposé en cour.

Ce qu’il faut savoir

  • Le 23 octobre 2023, Stéphane Le Bouyonnec est entré en fonction comme sous-ministre du ministère de la Cybersécurité et du Numérique
  • Il reçoit un traitement annuel de 253 942 $, en plus d’une allocation mensuelle de 1573 $ pour ses frais de séjour à Québec.
  • Il a toujours des intérêts de 500 000 $ dans l’entreprise Finabanx, une société de prêts privés à 87 % d’intérêts et plus au Canada anglais, selon ses déclarations à La Presse et à un ancien coactionnaire.
  • Cette pratique est interdite au Québec, et l’opposition demande sa suspension.
  • Il devra aussi expliquer en cour des paiements douteux que l’entreprise aurait faits, selon le témoignage d’un ancien haut dirigeant, pour rembourser une dette de ses partenaires au crime organisé.
  • En 2018, Stéphane Le Bouyonnec avait été forcé de démissionner comme candidat et président de la CAQ pour cette raison.

« À la suite de vérifications menées auprès de M. Le Bouyonnec et à la lumière des documents qu’il a soumis au Secrétariat aux emplois supérieurs, M. Le Bouyonnec a cédé la totalité de ses parts de l’entreprise Finabanx, sans aucune considération future, et ce, depuis novembre 2020 », affirme la porte-parole du ministère du Conseil exécutif Jessica Leblanc dans un courriel envoyé à La Presse jeudi.

En entrevue, Stéphane Le Bouyonnec affirmait pourtant l’inverse, le 28 novembre, expliquant espérer un paiement futur malgré la cession de ses actions au chef de la direction financière de l’entreprise, en 2020. Voici un extrait de la conversation que La Presse a eue avec lui :

« J’ai tout simplement cédé pour 1 $ toute cette histoire-là, et si jamais il y avait des considérations futures, disons ça comme ça, il y aurait éventuellement de l’argent qui revenait, bien là j’aurais un retour.

— Un genre de balance de prix de vente sur vos actions ?

— Ouais, c’est ça.

— Puis maintenant, est-ce que vous avez eu votre argent ? Est-ce que ça, ça vous a été payé ?

— Non, non, pas du tout. Parce que, évidemment, tant que c’est pris là-dedans, ces actions-là, on peut dire qu’elles valent zéro aujourd’hui, potentiellement. Donc éventuellement, on sait pas quand, mais c’est sûr que moi, honnêtement, j’aimerais bien revoir ce que j’ai mis, la valeur nominale. »

Dans un courriel à un co-investisseur dans Finabanx en février 2021, Stéphane Le Bouyonnec explique qu’il a dû « céder » ses actions à cause de « [s]a job », mais que son « risque demeure a [sic] 100 % pour 500k [500 000 $] ». C’est sur la base de ce document que La Presse avait questionné le sous-ministre au sujet de ses liens financiers persistants avec l’entreprise.

DOCUMENT JUDICIAIRE

Un courriel de février 2021 déposé en cour où Stéphane Le Bouyonnec évoque son intérêt de 500 000 $ persistant dans Finabanx, malgré la « cession » de ses actions. Il était alors haut fonctionnaire au ministère du Conseil exécutif de François Legault depuis près de deux mois.

Québec a fait part à La Presse de ses « vérifications » auprès de Stéphane Le Bouyonnec après une déclaration de François Legault selon laquelle il ignorait tout des liens persistants du sous-ministre avec Finabanx, révélés dans une enquête de La Presse jeudi. Il ajoutait qu’il comptait demander à la secrétaire générale du Conseil exécutif (grande patronne des hauts fonctionnaires) de se pencher sur la question.

« J’ai demandé à Mme [Dominique] Savoie de faire toutes les vérifications, mais non, je n’étais pas au courant », a lancé le premier ministre jeudi après la période des questions.

Suspension réclamée

L’opposition demande la suspension de Stéphane Le Bouyonnec comme haut fonctionnaire, le temps que le gouvernement fasse enquête sur ses liens avec Finabanx.

Jeudi matin, La Presse a révélé aussi que Stéphane Le Bouyonnec devra s’expliquer sur sa gestion de la gouvernance de l’entreprise. Alors qu’il était « président du conseil d’administration » en 2019, Finabanx aurait fait des paiements douteux à ses fondateurs pour rembourser une dette au crime organisé, selon le témoignage sous serment d’un ancien haut dirigeant.

En 2018, Stéphane Le Bouyonnec avait déjà dû démissionner comme candidat et président de la CAQ à cause de son implication dans la société, qui fait dans les prêts privés à 87 % d’intérêts et plus hors Québec. Il a toutefois intégré la haute fonction publique en décembre 2020 comme secrétaire général associé, internet haute vitesse, au sein du ministère du Conseil exécutif de François Legault. Puis, en octobre dernier, Québec l’a promu sous-ministre à la Cybersécurité et au Numérique auprès d’Éric Caire.

Des nominations qui ne passent pas. « Il doit être suspendu », a lancé le chef par intérim du Parti libéral, Marc Tanguay, en point de presse matinal jeudi. Le député de Québec solidaire Vincent Marissal estime qu’il peut « difficilement rester en poste », et le péquiste Pascal Bérubé estime qu’il s’agit d’un cas classique de « nomination partisane ».

Marc Tanguay dit être resté pantois à la lecture de l’enquête de La Presse. « J’ai lu ça et je me suis dit : “Il est encore là-dedans lui ? Ben voyons donc !” », a-t-il laissé tomber.

Motion unanime

Les députés de la CAQ ont voté avec tous les autres députés en faveur d’une motion du solidaire Vincent Marissal pour exiger « que les hauts fonctionnaires n’aient aucun intérêt dans des entreprises poursuivant des activités dans d’autres juridictions qui sont illégales au Québec ».

Le texte mentionne que les hauts fonctionnaires sont « tenus à des standards élevés en matière d’éthique, ce qui implique de respecter les lois québécoises et les normes qui les sous-tendent » et « que les sociétés privées offrant des prêts à taux élevés sont proscrites au Québec ».

Lisez notre enquête « Un ex-poids lourd de la CAQ rattrapé par des enjeux éthiques »