En pleine crise du logement, une somme de 40 millions réservée à l’aide aux locataires dort dans les coffres du gouvernement, notamment en raison du manque d’appartements dans le marché privé, ce qui empêche les organismes responsables de distribuer des unités du Programme de supplément au loyer (PSL) aux ménages dans le besoin.

Au total, 9068 unités du PSL, sur les 45 280 rendues disponibles par le gouvernement, ne sont pas attribuées, soit 20 %, alors que les besoins sont pourtant énormes. Actuellement, 36 212 de ces unités sont attribuées à des ménages, grâce à un financement gouvernemental de 149,9 millions.

Le PSL permet à des ménages à faible revenu d’habiter des logements du marché locatif privé, ou encore dans des coopératives d’habitation ou des organismes sans but lucratif, tout en payant un loyer semblable à celui d’un HLM, correspondant à 25 % de leur revenu. Le gouvernement paie la différence.

Seulement pour Montréal, 2914 unités, sur les 16 103 supervisées par l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), n’ont pas été attribuées.

Le hic, c’est que l’attribution de bon nombre d’unités du PSL exige de trouver des propriétaires de logements qui acceptent de signer une entente afin que les locataires aient droit à la subvention. En situation de pénurie, les propriétaires sont moins enclins à collaborer.

Ainsi, à l’organisme Dans la rue, qui a obtenu 48 unités PSL à attribuer à des jeunes dans le besoin, les intervenants ont fait en mai dernier 96 demandes pour visiter des logements à louer, annoncés sur diverses plateformes. Ils n’ont reçu que quatre propositions de visite d’appartement, et un seul bail a pu être signé, explique Marie-Noëlle L’Espérance, directrice en prévention et intervention pour l’organisme, qui décrit un véritable « parcours du combattant ».

Au cours des derniers mois, 20 jeunes qui fréquentent Dans la rue ont été acceptés dans le programme, mais des logements ont été trouvés pour seulement sept d’entre eux.

Dormir dehors

« Un jeune qu’on connaît dort dehors en ce moment, ce qui le place en position très précaire, déplore Mme L’Espérance. On n’est pas capable de l’aider à trouver un logement, même s’il aura de l’aide pour payer son loyer grâce au programme. »

Même constat à la Mission Old Brewery, où on a 25 unités du PSL à distribuer : seulement six ménages ont pu trouver un toit.

« Les propriétaires de logements ont tellement de demandes, ils préfèrent choisir quelqu’un d’autre », explique Émilie Fortier, directrice des services en itinérance pour l’organisme. « Certains gros conglomérats, qui acceptaient autrefois les PSL, les refusent maintenant quand une personne qui avait un PSL quitte. »

Les besoins sont là. On ne manque pas de financement pour les PSL, on manque de logements.

Émilie Fortier, directrice des services en itinérance à la Mission Old Brewery

Autrefois, pour être admissible au PSL, un loyer ne pouvait dépasser la médiane dans son secteur. Mais comme la pénurie de logements abordables a rendu les recherches très difficiles, le gouvernement a dû majorer dernièrement les maximums admissibles, en fonction du taux d’inoccupation. Par exemple, on majore de 120 % si le taux d’inoccupation est inférieur à 3 %, et jusqu’à 150 % quand le taux est de moins de 2 %.

Ainsi, à Montréal, le loyer médian pour un logement de deux chambres à coucher est de 1085 $. Comme le taux d’inoccupation est de 2,1 %, on applique une majoration de 140 % et le loyer maximum admissible passe à 1519 $.

Pour les PSL liés à des situations d’urgence (violence conjugale, ménages sans logis après le 1er juillet, etc.), la majoration est de 150 %.

Mais même après l’augmentation des loyers admissibles, la tâche de trouver des logements est toujours colossale.

Au Chaînon, dont la mission est d’aider les femmes démunies, une intervenante se consacre presque entièrement à la recherche de logements. « En travaillant fort et en faisant énormément de recherches, on finit par trouver », indique la PDG de l’organisme, Sonia Côté. « On a reçu 27 PSL, et on a 12 femmes qui sont installées dans des logements. »

Plus de logements sociaux

Les intervenants consultés dans les divers organismes communautaires sont catégoriques : la crise de l’itinérance est directement liée à la pénurie de logements. Les subventions qui aident à payer le loyer ne servent à rien s’il n’y a pas d’appartements disponibles.

« Les PSL ne peuvent pas remplacer les investissements dans le logement social, parce que sur le marché privé, les prix sont trop élevés », souligne Marie-Noëlle L’Espérance.

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, se dit consciente des difficultés à trouver des logements dans un marché locatif « serré », en raison des réticences des propriétaires privés.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation

Mais il est normal qu’un certain nombre d’unités du PSL ne soient pas attribuées, a-t-elle expliqué récemment, en marge d’une conférence de presse à Montréal. « Plusieurs sont réservées à des organismes, en attendant qu’ils soient prêts à les utiliser. Mais les sommes non utilisées ne sont pas gelées. Il n’y a pas d’argent qui se perd », assure la ministre, qui martèle qu’elle agit pour favoriser la construction de plus de logements.

Plus du tiers des 9000 unités disponibles sont liées au programme (maintenant terminé) AccèsLogis, indique la Société d’habitation du Québec (SHQ), dans une réponse envoyée par écrit. Les organismes qui gèrent des projets AccèsLogis doivent utiliser un nombre minimal de PSL, mais ne sont pas obligés de les attribuer en totalité. « Toutefois, nous devons conserver ces unités au cas où ils voudraient les utiliser ultérieurement », écrit un porte-parole de la SHQ.

Plus de 1000 unités PSL d’urgence sont disponibles pour répondre aux besoins de ménages qui se retrouvent sans logement, notamment le 1er juillet.

« Près de 1000 unités sont aussi réservées pour des clientèles vulnérables (itinérants, femmes victimes de violence, jeunes sortant d’un centre jeunesse, etc.) », note la SHQ.

Le Programme de supplément au loyer en bref

Les unités du Programme de supplément au loyer sont distribuées pour répondre à diverses catégories de besoins, selon une répartition complexe. Ainsi, le gouvernement a autorisé le financement de 45 280 unités au total, et 9068 ne sont pas attribuées. Par exemple, des unités sont réservées au programme (maintenant terminé) AccèsLogis (23 515 unités annoncées, 3327 unités non attribuées), au marché privé (8709 annoncées, 2539 non attribuées) ou à l’aide d’urgence (2103 annoncées, 1087 non attribuées). Des unités sont réservées pour sortir de la rue des personnes itinérantes et sont distribuées par les CISSS et les CIUSSS à divers organismes, qui ont le mandat de les allouer en trouvant à la fois les logements et les candidats. Pour la métropole, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a obtenu 349 unités PSL d’urgence, volet itinérance, dans les deux dernières années. Dans le budget 2023-2024, le gouvernement a aussi annoncé 2000 unités supplémentaires pour un budget de 63,3 millions sur cinq ans. Actuellement, le gouvernement paie 4428 $ par année en moyenne par unité du PSL, mais cette somme augmente annuellement, en raison de la hausse des loyers.

Rectificatif
Une version précédente de ce texte était accompagnée d’un graphique où nous présentions la proportion de locataires consacrant plus de 30 % de leur revenu au logement dans les centre-villes, mais le graphique n’avait pas été bien identifié. Nous présentons ici les données pour tout le territoire des villes concernées. Nous nous excusons des inconvénients causés par cette erreur.