(Ottawa) Dans son district de la baie de San Francisco, l’élue démocrate Buffy Wicks représente de nombreux travailleurs qui se rendent chaque matin au siège social de Meta, de Google ou d’autres géants du web de Silicon Valley.

L’histoire jusqu’ici

17 février 2021

En pleine pandémie, alors que des incendies de forêt font rage en Australie, Facebook bloque soudainement les liens vers les contenus d’actualité pour protester contre un projet de loi. Quelques jours plus tard, Meta arrache des concessions à Canberra et cesse le blocage.

2 décembre 2022

Meta menace le Congrès des États-Unis de retirer les nouvelles de ses plateformes si celui-ci adopte un projet de loi visant un partage de revenus. La mesure est abandonnée, mais redéposée le 31 mars suivant.

31 mai 2023

La veille du vote sur un projet de loi en Californie, Meta fait les mêmes menaces. L’étude du projet de loi reprendra l’automne prochain.

Cela ne l’a pas empêchée de déposer à l’Assemblée de l’État de Californie un projet de loi visant à forcer les multinationales à conclure des ententes de rétribution avec les médias dont elles publient le contenu.

Oui, comme au Canada.

Et la veille de la journée du vote à Sacramento, le 31 mai dernier, Meta a menacé de bloquer l’accès aux nouvelles de la Californie sur les plateformes Facebook et Instagram en cas d’adoption définitive du California Journalism Preservation Act.

Oui, comme au Canada.

Le projet de loi a été approuvé de façon bipartisane à l’Assemblée, à 55 voix contre 6 (sur 80 représentants). Il a été mis sur la glace de façon temporaire, vendredi passé, afin que divers ajustements y soient apportés avant le vote au Sénat.

« Nous avions juste besoin d’un peu plus de temps. La Californie est la quatrième économie du monde, et nos politiques peuvent être des modèles pour d’autres États. J’aime mieux faire bien que vite », explique la représentante démocrate en entrevue Zoom.

Mais elle insiste : elle veut agir pour encadrer ces sociétés détentrices d’un « énorme pouvoir monopolistique », et les menaces qu’elles ont proférées ou qu’elles proféreront n’auront pas raison de sa détermination : « Ça ne me fait pas broncher. »

Quant au comportement de Meta, elle estime qu’il manque de hauteur.

Au lieu de discuter de réglementation, tu prends tes affaires et tu rentres à la maison ? Je trouve que c’est inconvenant.

Buffy Wicks, représentante démocrate à l’Assemblée de l’État de Californie

La résidante d’Oakland n’a pas besoin d’aller loin pour prendre le pouls sur le terrain. La Mecque de la technologie et de l’économie numérique, la Silicon Valley, est à une heure de route, et beaucoup de ses commettants sont employés par un géant du web.

« Disons que j’en entends parler, lance-t-elle en riant de son côté de l’écran.

« Mais au bout du compte, je considère qu’il est primordial de protéger la liberté de la presse », insiste l’élue, s’étonnant du fait que les géants du web « pensent réellement qu’ils ne font pas partie du problème [du déclin des médias] ».

Le Congrès aussi en marche

Le Congrès des États-Unis planche lui aussi sur une mesure législative destinée à forcer les géants du web à dédommager les médias dont ils diffusent les contenus d’actualités, le Journalism Competition and Preservation Act.

Là aussi, Meta a montré les dents. Si bien que le Congrès a d’abord abandonné, l’année dernière, la mesure parrainée par la sénatrice démocrate Amy Klobuchar et son collègue républicain John Kennedy, selon le Washington Post.

Ils sont toutefois revenus à la charge en mars dernier. « Les médias locaux sont plongés dans une crise existentielle. Les revenus publicitaires sont en dégringolade, et les salles de nouvelles ferment aux quatre coins du pays », a déclaré la sénatrice Amy Klobuchar.

Une lutte qui suscite l’inquiétude

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a répliqué à Meta en annonçant la semaine dernière que le gouvernement fédéral suspendait tous ses achats publicitaires sur Facebook et Instagram.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez

À part le gouvernement du Québec, aucun autre ailleurs au Canada n’avait emboîté le pas – jusqu’à ce que la Colombie-Britannique décide de le faire, mercredi. Des médias québécois et nationaux, des sociétés d’État québécoises et quelques entreprises ont aussi décidé de se joindre au mouvement de boycottage.

L’affrontement avec les sociétés internet semble être source de tiraillements.

D’après un sondage réalisé par la firme Angus Reid, si 61 % des personnes interrogées estiment que les géants devraient indemniser les médias pour la diffusion du contenu, 63 % redoutent de perdre accès aux nouvelles canadiennes sur Facebook et Google.

Consultez le sondage d’Angus Reid (en anglais)

Le même coup de sonde publié lundi établit à 48 % la proportion de ceux qui veulent voir le gouvernement reculer. On y constate aussi que 85 % des participants à l’enquête ne paient pas pour les nouvelles qu’ils consomment en ligne.

Le sondage a été mené auprès de 1610 adultes (388 au Québec, 311 francophones).

Compte à rebours

La Loi sur les nouvelles en ligne du gouvernement canadien doit entrer en vigueur une fois le processus réglementaire terminé, soit en décembre prochain. D’ici là, le ministre Pablo Rodriguez espère aplanir les différends avec Google.

Il a d’ailleurs rencontré dernièrement des représentants de la société, qui échappe au boycottage des achats publicitaires pour l’heure, car le ministre juge l’attitude de ses dirigeants plus constructive – et ce, même s’ils ont fait la même menace que Meta.

Lisez notre article « Loi sur les nouvelles en ligne : la riposte des géants numériques pourrait faire mal »

Il était aussi question d’échanges avec la sénatrice Amy Klobuchar et la représentante Buffy Wicks. Cette dernière ne s’était toujours pas entretenue avec Pablo Rodriguez, mardi. Mais elle l’encourage d’ores et déjà à ne pas jeter l’éponge, parce que « c’est ce qu’il faut faire ».

« Quelle est la devise de Google, donc ? », demande-t-elle à voix haute. Réponse : « Do the right thing », qui figure dans le code de conduite de sa société mère, Alphabet – elle est venue remplacer « Don’t be evil » dans la précédente version de Google.