(Ottawa) Martelant que la Chine n’a jamais tenté de s’ingérer dans le processus démocratique canadien par le truchement de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, Alexandre Trudeau a attaqué sans ménagement, mercredi, l’ex-cheffe et présidente de la direction de l’organisation, Pascale Fournier.

Ce qu’il faut savoir

  • La présidente et cheffe de la direction de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, Pascale Fournier, et huit autres membres du conseil d’administration ont démissionné en bloc le 11 avril dernier en citant le don chinois comme motif de leur départ.
  • Le don controversé de 140 000 $ a été remboursé à l’entreprise Aigle d’or du millénaire, une société appartenant au milliardaire Zhang Bin, proche du régime chinois à l’origine de la contribution.
  • Alexandre Trudeau était le troisième membre de la Fondation à comparaître devant un comité de la Chambre des communes, après Pascale Fournier et Morris Rosenberg, deux anciens PDG.

Le témoignage du frère cadet du premier ministre Justin Trudeau devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique avait toutes les allures d’un règlement de comptes.

Il a mis la table en déclarant qu’« aucun État ou aucun individu n’a tenté d’influencer le gouvernement par l’entremise de la Fondation », déplorant que le Canada demeure dans le viseur de « puissances étrangères qui sont motivées à [l’]influencer de façon perfide ».

Ce qui s’est joué à la Fondation Trudeau n’est toutefois pas une affaire d’ingérence, mais bien « une crise de gestion alimentée par des fautes graves commises par notre ex-présidente [Pascale Fournier] », a-t-il soutenu avant d’énoncer huit allégations contre elle.

Mystère sur l’identité des donateurs ou leurs affiliations, questions sur l’authenticité du reçu fiscal du don de bienfaisance, doutes entourant la légitimité de sa signature du contrat officialisant le don, etc. : tout cela est « résolument » injustifié, a tranché Alexandre Trudeau dans sa déclaration d’ouverture.

Les chèques et les instructions

Le député conservateur Michael Barrett a vite rebondi sur la question de la signature apposée par le témoin, au nom de la Fondation, sur le contrat officialisant le don promis de 200 000 $, dont seulement 140 000 $ ont été versés avant d’être finalement remboursés.

Devant le même comité, vendredi dernier, Pascale Fournier avait manifesté son incompréhension par rapport à cet aspect. Son successeur, Morris Rosenberg, avait pour sa part fait valoir que si Alexandre Trudeau avait signé le contrat, c’était pour des raisons symboliques.

La politique d’acceptation des dons, que La Presse a obtenue, précise pourtant que c’est le président qui doit personnellement accepter les dons de moins de 1 million de dollars. Aucune résolution n’a été adoptée par le conseil d’administration pour autoriser Alexandre Trudeau à accepter le don, selon nos informations.

Le principal intéressé n’y a pas vu d’enjeu particulier. « Je signais les chèques de paye, j’habite proche de la Fondation, donc ça m’arrivait de signer », a expliqué le résidant de Montréal. Il a également nié qu’il y avait matière à remettre en question la légitimité de la contribution d’Aigle d’or du millénaire international.

« Il y avait le même compte de banque, de BMO, pour les deux premiers dons. Les banques canadiennes sont régies avec des lois assez sévères sur le blanchiment d’argent. Alors ça signifiait que la compagnie opérait dans le respect des normes canadiennes », a-t-il argué.

L’entreprise Aigle d’or du millénaire est détenue par Zhang Bin, un milliardaire chinois aussi président de la China Cultural Industry Association. Cette organisation est « approuvée par le Conseil d’État de Pékin », selon son site web. Bref, elle relève directement de l’État chinois.

Et les directives fournies à la Fondation Trudeau sur la marche à suivre concernant les transactions ?

« Les instructions, si elles ont eu lieu, c’était à des fins de traduction, pour faire traduire des instructions. Là encore, il n’y a rien là », a assuré Alexandre Trudeau. « J’aurais voulu que la VG [vérificatrice générale] inspecte tout ça […] Ben oui, ben oui, il n’y a absolument rien de problématique dans tout ce dossier », a-t-il plaidé.

Vendredi dernier, Pascale Fournier a souligné qu’Aigle d’or du millénaire international « demandait aux employés de la Fondation d’inscrire des informations sur leurs reçus fiscaux et disait : “S’il vous plaît, n’inscrivez pas les noms des donateurs. S’il vous plaît, mettez une adresse en Chine” ».

L’Université de Montréal

Le moins visible des deux fils Trudeau, un documentariste et auteur qui dit s’être rendu en Chine une ou deux fois par an entre 2005 et 2015 environ, a par ailleurs déclaré que ses échanges avec l’Université de Montréal au sujet d’un don visant à honorer la mémoire de son père avaient débuté en 2014.

S’il s’est invité dans la discussion avec la faculté de droit de l’établissement où son père a étudié et enseigné, c’est « parce que depuis la création de la Fondation, tous les efforts au nom de Pierre Trudeau devaient passer par [elle], et on se disait qu’on avait un monopole », a-t-il exposé.

Distance fraternelle

Le fils cadet de Pierre Elliott Trudeau avait lui-même réclamé un carton d’invitation pour comparaître devant le comité. « Je suis prêt à dire tout ce que je sais sur la Fondation. Ça presse ! », insistait-il dans une entrevue accordée au quotidien Le Devoir la semaine dernière.

À l’approche du témoignage de son frère, mercredi matin, Justin Trudeau a affirmé que celui-ci allait « très bien expliquer ce qui s’est passé et sa perspective », tout en mentionnant que son frère et lui ne s’étaient « pas parlé depuis plusieurs semaines ».

En ce qui a trait à la Fondation, « depuis qu’il est premier ministre, on n’en a jamais parlé », a ensuite précisé Alexandre Trudeau devant les membres du comité. L’étude de l’ingérence chinoise doit se poursuivre avec l’apparition du président intérimaire du conseil d’administration, Edward Johnson.

Avec la collaboration de Katia Gagnon, La Presse